dimanche 26 avril 2009

Le cycle de Terra : L'Enfant du Rêve (3)

Chapitre Un : Convergence

Deuxième partie : Noblesse oblige

Paul souffrait difficilement la compagnie de ses pairs. Lorsqu’il se rendait au Siège des Grandes Familles de Rodia, aussi magnifique que fut le palais, ce n’était que contraint et forcé. Être le fils unique de Joseph Archibald Roderick comportait certaines obligations dont il se serait bien passé. Heureusement, et ce malgré la position de première importance qu’il occupait, personne ne lui parlait vraiment. Mais, et c’était une question que Paul se posait sérieusement, parlait-on vraiment au Siège des Grandes Famille de Rodia ? Pour lui, on devisait hypocritement, on se livrait à un jeu de menaces à peine voilées et de répliques assassines, sans jamais déroger aux règles édictées par la ‘Toute Puissante Étiquette’. On feignait un sourire, on cherchait les alliances les plus lucratives. On promettait, souvent –ce qui n’engageait à rien, comme se plaisaient à le rappeler les avocats à grand renfort de documents en six exemplaires contresignés par les parties en présence. Les moins riches courtisaient les plus puissants, en espérant récupérer quelques miettes de leur empire. On cherchait les mariages d’intérêt, et l’on voyait fréquemment de jeunes éphèbes aux dents longues courtiser quelques comtesses décaties dont les doigts parcheminés exhibaient crânement les seuls atours d’une fortune aujourd’hui envolée. Dans ce palais des apparences, seuls les signes extérieurs de richesse vous préservaient de l’ostracisme. Finalement, la noblesse rodéenne jouait à la noblesse rodéenne ; dans un spectacle dépourvu de toute originalité. Et ce n’était pas tant cela qui rebutait Paul. C’en était –il réfléchit quelques secondes– divertissant. Oui, divertissant, c’était le mot. Il s’en fallu de peu que cela fût nécessaire. Le commun du peuple ne possédait pas l’Étiquette. C’en portait-il plus mal ? Cela ne faisait aucun doute. Pour quiconque. On avait sorti un livre là-dessus. C’était pour cela qu’une fois encore, les médias présents pour couvrir ce simulacre d’événement se partageraient les soixante-deux pourcents de la population qui continueront à s’agglutiner devant leur écran. On leur distillait du ‘rêve’ devant lequel s’abrutir, oublier, afin de maintenir une tranquillité béate et candide. Il suffisait de lire les derniers best-seller pour se convaincre que la noblesse avait toujours ce ‘quelque chose en plus’ que le peuple et l’aristocratie lui enviaient. Non, ce qui mettait véritablement Paul hors de lui, ce qui était pire que tout à ses yeux, c’était que, malgré les répercussions qu’elle ne manquerait pas d’entraîner sur la mode à venir dans un futur proche, la noblesse s’habillait effroyablement, et de plus en plus, mal ! Cela et le fait qu’aucune réunion ne se soit transformée en un bain de sang ; ce n’était pas faute d’attiser les colères et de monter les familles les unes contre les autres. À la réflexion, c’était peut-être pour cette raison qu’on ne lui adressait la parole que peu ou prou.

Pourtant, Paul était lucide. Ce statu quo concernant la noblesse ne durerait pas. Ces entre-déchirements, ces guerres intestines n’avaient pas leur place dans un monde où se profilait, de plus en plus puissante, la Fédération Commerciale Fénobienne. Ces coquins de marchands l’avaient bien compris lors de la création hâtive de leur consortium économique indépendant. L’Étiquette n’avait plus sa place dans une économie de marché en pleine mutation, et aucun noble ne semblait s’en rendre compte. Ils auraient encore certainement l’impression d’avoir du pouvoir lorsque les grandes entreprises et les trusts internationaux se partageraient leurs fortunes sur leurs dépouilles encore fumantes. La noblesse était mourante, et seul un sursaut collectif pouvait y changer quelque chose. Les ennemis d’aujourd’hui devraient être les alliés de demain. Et les grandes familles ne pouvaient plus s’encombrer de la basse noblesse. Celle-ci pourrait éventuellement lui servir de bras armé… Cette pensée amusait beaucoup Paul. Le retour aux vraies valeurs, pensait-il. Et au costumes trois pièces, noirs, souhaita-t-il à la vue des exactions vestimentaires de certains invités.

Son visage et ses yeux noirs s’obscurcirent à mesure qu’il se plongea dans sa pensée. Il retrouva tout son attention lorsqu’un raclement de gorge se fit entendre distinctement à quelques pas de lui. Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’…

–Henry !

Paul se retourna nonchalamment, mais un franc sourire illumina son visage légèrement androgyne. Sa longue chevelure noire s’animait lorsqu’il esquissait un simple mouvement de la tête.

Henry était en quelque sorte son valet personnel, son tuteur, et un compagnon fidèle. Ce dernier ne cachait pas avoir pour son jeune maître une affection toute particulière, et sa personne lui était entièrement dévoué. Il était le majordome de la famille Roderick depuis des temps immémoriaux. Et si un impérieux ennemi avait blanchi totalement ses cheveux, marqué ses traits, sa taille, et caché ses yeux pétillants derrière des lunettes dorées, il n’avait en rien altéré sa prestance. Henry restait un exemple de distinction et de goût. Son frac gris finement rayé se mariait élégamment avec son gilet pourpre broché d’or. Il semblait évident que seule cette chemise à col cassé était susceptible de s’accorder à ce nœud papillon. Ses souliers noirs brillaient sans outrage, et le blanc de ses gants de coton surpiqués était tout simplement inattaquable. « Confiez donc cette bande de primates dégénérés à Henry pour qu’il les éduque et les rende présentables », songeait-il en de telles occasions.

–Henry… Votre seule présence en ce lieu tend à contrebalancer la propagation de l’aberration visuelle ambiante. D’ailleurs, et dans le seul but de sauver quelques milliers, que dis-je, quelques millions de globes oculaires traumatisés, qui souffrent de la couverture médiatique d’une telle démonstration de mauvais goût, pourriez-vous vous placer discrètement dans le champ visuel de cette caméra ; ce, afin d’imprimer subrepticement la rétine de ceux qui seraient tentés de s’inspirer de telles horreurs pour habiller –si l’emploie de ce mot, ne constitue pas un barbarisme à l’heure actuelle– les générations futurs ? S’ils contemplent ce qu’est la véritable élégance, j’ai bon espoir que les couturiers abandonnent très prochainement le concept –doux euphémisme– de laideur. Ensuite, et bien… Je crois que la noblesse devra s’y plier également.

Henry sourit. Simplement. Attestant l’existence de la classe comme facteur de mesure objective et universelle des choses.

–Si cela peut rassurer Monsieur, j’ai remarqué que Monsieur s’efforçait déjà de le faire en se tenant dans la ligne de mire de quelques cinq objectifs différents. De plus, la position sociale de Monsieur lui assure une chance infiniment supérieure d’incliner les différents médias –dont, dois-je le rappeler, près de la moitié appartiennent à la famille de Monsieur– à diffuser son image, et ce, massivement.

–Hum… Vous aviez remarqué.

–Oui Monsieur.

–Bon… Mais vous avouerez que le trois pièces noir à rayures était un bon choix, n’est-ce pas ?

–Tout à fait judicieux Monsieur.

–Parfait.

Paul laissa s’écouler quelques secondes, durant lesquelles il sembla se perdre à nouveau dans sa pensée.

–Or donc Henry, pourquoi êtes vous là si ce n’est pour vous plier à mes quatre volontés ?

–Pour respecter celles de Monsieur votre père, Monsieur.

–… Qui désire s’entretenir avec moi dans les plus brefs délais, j’imagine ?

–L’on ne peut rien cacher à Monsieur.

–Hélas, Henry, hélas… Vous savez que je suis de santé fragile, et j’ai fort peur de perdre la vue, et mon intégrité mentale en restant ici quelques instants de plus. N’auriez-vous pas l’extrême obligeance de dire à mon père que je suis parti plus tôt, et que vous ne m’avez pas trouvé ?

–Je crains que cela me soit impossible, Monsieur. Pour trois raisons : pour commencer, Monsieur possède une santé de fer, et à moins de prétendre qu’une tierce personne ait pu directement injecter à Monsieur un bacille qui aurait provoqué une mort foudroyante j’ai peur que Monsieur votre père ne s’y trompe pas. Ensuite, Monsieur prétend que je serais capable d’user du stratagème astucieux, mais peu scrupuleux, qu’est le mensonge auprès de Monsieur mon employeur, au prix d’une position que rien au monde ne saurait remplacer. Enfin, Monsieur votre père aura placé à chaque issue connue de ce bâtiment quelques gardes surentraînés qui auraient pour mission de vous barrer l’accès dans l’éventualité où vous souhaiteriez sortir, sous peine de le payer de leur vie –ce qui, je dois le dire à Monsieur, semble beaucoup les motiver.

–Diable !

Paul s’avérait réellement contrarié par la situation. Il n’aimait pas que son père le prenne de vitesse.

–Oui, Henry, vos arguments se tiennent. Si vous veniez à prendre congé de nous, je pense que je n’y survivrai pas. Veuillez ouvrir la voie, je vous suis.

Henry regarda son maître par dessus les verres de ses lunettes. Il avait le sourire entendu de celui à qui on ne la fait plus. La dernière fois, le majordome avait à peine eu le temps de se retourner que Paul lui avait fracassé un candélabre sur l’arrière du crâne, ce qui avait eu pour effet de le placer dans une position horizontale, et un état de conscience proche du néant. Pendant plusieurs jours. Il ne lui en tenait pas rigueur. Il savait que le jeune noble n’était pas le genre d’individus à capituler aussi facilement, fussent les vies de plusieurs gardes en jeu.

–Bien, bien ! Je vous précède, et vous fermerez la marche. Vous êtes très fort Henry.

–Ho, moins que Monsieur. J’ai simplement pour moi l’expérience.

Ils se mirent donc en marche. Pour atteindre Joseph, ils devaient fendre la foule. Or la force d’inertie de la noblesse n’était plus à démontrer. Mais Paul était là pour faire voler en éclat les idées reçues, et il fallait bien se confronter en premier lieu à quelque chose de concret ! Aussi s’attaqua-t-il à ce problème de la manière la plus adaptée : physiquement ; à grand renfort de coups d’épaule, de coude, de dents, et de talons.

S’il fallait concéder au Siège des Grandes Familles de Rodia quoi que ce soit, ç’aurait été sa splendeur somptuaire. Situé au sommet de l’édifice, la salle circulaire d’une centaine de mètres de diamètre dans laquelle ils se trouvaient, surplombait la cité de marbre. Elle était surmontée  par une coupole de cristal et d’acier qui s’élevait à une vingtaine de mètre du sol.  La rigidité de la structure était assurée à la base, en de multiples points, par des colonnes de marbre rose que dominaient d’impressionnantes cariatides. Le blanc laiteux de la pierre qui les constituait, conférait à leur posture académique une délicate fraîcheur. Le mur était parsemé de baies dans lesquelles s’étalaient de magnifiques verrières qui offraient une vue imprenable sur la cité de Rodia. On pouvait voir au loin scintiller le fleuve Arso, faire un coude, puis disparaître derrière la skyline de verre. Dans la journée, les rideaux de velours cramoisi piqué d’or qui ornaient les baies étaient attachés par le biais d’embrasses de vermeil. En soirée, le sommet de la coupole réverbérait la voûte étoilée, et l’on tirait certains rideaux qui recouvraient alors une teinte d’un bleu profond ornée d’argent. L’éclairage était assuré par de solides candélabres en bronze blanc, disposé ça et là dans la pièce, et dont les bougies diffusaient des lumières de couleurs et d’intensité variées. Le sol était composé de tesselles de marbre, dont la teinte et la position pouvaient changer, pour offrir un décor sans cesse renouvelé.

L’ensemble était sublime, et ce devait être la dernière chose qui pouvait retenir Paul en ce lieu. Il était cependant persuadé que si elle avait été construite en une période contemporaine, cette salle aurait été maculée de rose bonbon et de bleu ciel. À cette idée, son visage se déforma en une moue appuyée de dégoût.

Ils arrivèrent enfin à hauteur de Joseph Roderick. Ce qui n’avait pourtant rien d’une mince affaire. Loin d’avoir abandonné l’idée de la fuite, Paul avait successivement tenté de feindre l’évanouissement, la crise d’épilepsie, la crise de démence ; il avait emprunter le plateau d’un serveur pour se faire passer comme tel, manqué de faire manger sa coupe de champagne à un noble qui avait eu l’audace de le considérer comme tel ; il avait tenté d’apitoyer, d’amadouer, de soudoyer, de menacer, puis finalement d’assommer Henry, mais toutes ses tentatives s’étaient révélées vaines.

Le patriarche de la famille Roderick sourit. C'était l’homme le plus influant de Rodia. Il possédait un formidable nombre d’entreprises, ainsi qu’une milice privée qui ressemblait plus sincèrement à une armée régulière. Il n’était pas grand, mais se tenait droit, dans une position proche du garde à vous, le port de tête altier, la tenue irréprochablement stricte. Paul aurait dit austère, mais il préférait toujours cela au relâchement général dont semblait souffrir le reste de la population. Son visage carré était caractérisé par de puissantes mâchoires et une barbe aux reflets d’argent impeccablement taillée. Sa coiffure était à l’image du personnage : militaire. Il portait aujourd’hui de grandes bottes en cuir par dessus son pantalon. Sa veste à col mao était entièrement boutonnée, mais Paul se doutait qu’il devait porter une chemise en dessous. L’ensemble était noir. Mais malgré la rigueur de son costume, Joseph aimait rire plus que tout. L’on voyait de temps à autres ses beaux yeux gris/vert, son regard franc et fier, se charger d’une lueur malicieuse.

Lorsque l’on considérait Paul et Joseph côte à côte, l’on s’apercevait immédiatement qu’ils ne se ressemblaient en rien. Le premier était grand, élancé, le second, massif et trapu. Si l’on se tenait suffisamment informé, il était de notoriété publique que Joseph était veuf, et que sa femme ne lui avait jamais donné le moindre enfant. Peu de temps après, Paul avait fait son apparition. Nul n’avait vraiment compris. Joseph était encore jeune et aurait pu se remarier. Les rumeurs les plus folles avaient alors couru sur ce mystérieux héritier. On avait évoqué une maîtresse, un fils caché. Certains y avait vu le signe d’un homme malade à l’avenir incertain, préparant sa mort et sa succession. Puis le temps a passé, et alors que son fils adoptif allait sur ses trente ans, le chef de la maison Roderick avait l’air plus en forme que jamais. Le plus étrange pour beaucoup était que Joseph semblait sincèrement aimer Paul. Et celui-ci ne pouvait que remercier son Roderick de père de ne pas lui avoir imposé de parenté à tendances fratricides comme cela paraissait être la mode au sein de la noblesse. Ces deux là s’étaient bien trouvés.

–Je suppose que tu auras encore tenté de t’éclipser un nombre incalculable de fois.

Sa voix était puissante, mais chaleureuse. Son timbre était grave, posé, et empli de sollicitude.

–Vous me surestimez encore une fois Père. Je pense qu’Henry en a tenu le compte exact tout à fait aisément.

–Monsieur Paul aura essayé de tromper ma vigilance à douze reprises, Monsieur.

–Je pense que je suis avant tout là parce qu’Henry, quelque part, aura réussi à me dissuader de mettre en oeuvre une bonne moitié des idées que je projetais d'éprouver.

–Monsieur est trop bon. Je tiens à souligner que Monsieur me voit ravi de constater qu’il aura complètement abandonné sa dernière suggestion.

–Différé, Henry, corrigea Paul. Je l’ai différé.

–En quoi consistait-elle exactement, interrogea Joseph ?

–Oh, en trois fois rien Père. L’habituel plan de secours d’usage ; je me contente de vous décochez un violent uppercut entre les côtes. Lorsque vous avez le souffle coupé, j’en profite pour vous assommer. Je joue bien évidemment sur l’effet de surprise pour prendre un otage, réduisant à une valeur presque nulle toute éventualité qu’un potentiel héros fasse appel à la sécurité, et traverse la salle en direction d’une verrière. Je dois vous avouer que j’hésite entre la briser dans la foulée, ou me retourner théâtralement, lorsque l’on me croit acculé, pour faire une annonce sur la déliquescence de notre belle jeunesse et la disparition du goût et de la pudeur. Dans tous les cas, je m’éclipse en sautant dans un rire de dément, sous un tonnerre d’applaudissements, ou, plus probablement, les regards médusés de l’assemblée.

Paul ne cillait même pas. Il était on ne peut plus sérieux et se contentait de répondre à la question de son père. Il ne savait pas lui mentir.

–Alors que l’on vient à peine de réparer la porte principale ? Et pour ce qui est des gardes à l’entrée ?

–Père, voyons. Si vous pensiez sincèrement qu’ils pouvaient me retenir, jamais vous n’auriez envoyé Henry me chercher.

Joseph lança l’un de ses rires tonitruants, mais sincère, qui fit que l’assemblée toute entière se tu et tourna vers eux son attention. Ses éclats trouvèrent des échos dans la voûte cristalline pour y tinter joyeusement. Les conversations reprirent.

–Et l’on me demande encore pourquoi je t’ai choisi comme fils !

–Moi le premier Père. Sans vouloir me plaindre ou vous critiquer, c’est loin d’avoir été votre décision la plus judicieuse. Je ne sais combien d’inimitiés mal placée vous avez pu vous assurez en cette occasion.

–Aucune qui n’ait été réglée depuis ce temps, tu peux te rassurer.

Joseph reprit contenance et son visage redevint sérieux, presque grave.

–Mais puisque nous parlons de mésalliances, j’aimerai que tu m’expliques la raison de tes agissements avec certaines familles.

–Tel que je vous vois, Père, vous devez faire référence à mes récents entretiens avec les héritiers de la famille Prima et mes tentatives de réconciliations avec les Thodos –qui, si cela peut vous rassurer, n’ont pas été particulièrement fructueuses pour le moment.

–Tu ne t’en défends même pas.

–S’il est une chose que vous m’avez apprise, Père, c’est d’être transparent face au fait accompli. Ce qui est loin d’être une qualité dans notre société. J’ajouterai à cela, que je ne comprends pas pourquoi je tenterais de vous cacher un événement qui a connu une couverture médiatique suffisamment importante pour reléguer la guerre des méchas au rang d’anecdote futile. Imaginons maintenant que je vous mente ; il faudrait encore que je m’en défende, dans le seul but de vous voir retirer un sentiment de satisfaction personnelle au moment où, au bord des larmes, je vous avouerais tout. Or vous ne m’avez jamais éduqué dans le but de vous concéder quoi que ce soit, fut-ce afin d’en retirer un quelconque avantage. En somme, j’imagine que votre éducation a porté ses fruits, et que vous pouvez être fier de ce que je suis devenu.

–Certes. Ce n’était cependant pas réellement l’explication que j’attendais.

–Vous connaissez mon pragmatisme Père. La fédération de Fhèbe prend une ampleur telle que les grandes familles se doivent de lui opposer un front uni. Tant politiquement qu’économiquement. Le temps n’est plus aux questions d’honneur bafoué et de duels à l’épée. Je recherche les alliances utiles en somme.

–Pourquoi eux ?

–Tout d’abord, parce que je me suis découvert quelques affinités avec Ludovic et Adélaïde Prima. Ludovic est un fin bretteur, Adélaïde, une brillante concertiste, et tous deux possèdent une culture impressionnante, et de sérieuses prétentions pour acquérir des parts dans le consortium de l’Union Libre des Marchands. Jusqu’à présent, nous entretenons des rapports cordiaux, mais je suis persuadé que nous nous trouverons très rapidement des intérêts lucratifs communs. J’ai peur que Louis ne m’apprécie pas outre mesure, mais son influence est limitée. Les Prima ne sont pas, à proprement parler, une grande famille, mais je pense qu’ils constitueront un atout décisif dans les temps à venir.

Paul marqua une pause. Il savait que son père s’intéressait principalement aux relations qu’il avait tenté d’établir avec les Thodos.

–Pour ce qui est des Thodos, ce sont les derniers nobles à avoir encore quelques investissements dans la fédération, et un accès à une technologie émergente dont l’exclusivité pourrait nous assurer un retour au premier plan de la scène économique internationale. L’époque des familles ennemies est révolue. Si nous n’évoluons pas, nous disparaîtrons. Je suis persuadé qu’aucun membre ne se souvient exactement la raison des haines qui nous déchirent. Et je pense qu’il est temps de partager autre chose que ma tante avec Edward Thodos.

La famille Thodos était principalement basée à Elone. Cette ville était leur fief depuis des siècles. Malgré la distance quasi continentale qui pouvait séparer ces deux familles d’importance et d’influence égales, Les Roderick et les Thodos se détestait. La seule solution que l’on avait trouvé pour éviter une guerre ouverte dont les conséquences auraient été préjudiciables à la noblesse en premier lieu, à la paix internationale en second, avait été le mariage d’Edward Léopold Thodos à Roselyne Roderick, jeune sœur de Joseph Archibald.

–Malheureusement, j’ai peur que mes tentatives de réconciliations se soient soldées par un échec du fait de l’antagonisme puéril qui uni nos deux familles. Au mieux, ils me prennent pour un hypocrite, au pire, pour un traître à mon sang. Et je pense qu’ils ne traitent avec aucun des deux –s’il y avait eu la possibilité que joue sur une ambiguïté pour atteindre mon but. Peut-être prendront-ils conscience de la gravité de la situation avant qu’il ne soit trop tard.

Paul s’arrêta. Il avait fini complètement ses explications. La transparence ne signifiait pas qu’il n’avait pas tronqué certains détails importants, mais au moins, il avait été parfaitement honnête.

–Je pense maintenant que je vais prendre congé de vous, Père. Ainsi que de nos pairs d’ailleurs. Pour ce qui concernerait des informations supplémentaires, je suis persuadé que vous seriez contrarié de vous apercevoir que vous dépensez tant dans des services de renseignements qui ne vous apportent rien.

–Oui. Nous sommes d’accord. Je vais prévenir la sécurité de...

Sans crier gare, Paul décocha un violent coup de poing dans l’estomac de son père, qui se plia en deux, sous l’effet de la surprise et –il faut l’avouer– de la douleur. C’est qu’il n’y était pas allé de main morte ! Juste avant d’abattre son coude sur l’arrière du crâne de Joseph, il cria :

–Ha, mais gardez-vous en bien, Père ! Vous ne retirerez aucunement les mérites de ma sortie !

Effectivement, Paul n’avait fait que différer la concrétisation de son plan. Il allait enfin pouvoir le mettre à exécution. Intérieurement, il jubilait déjà de l’effet que cela ne manquerait pas de produire. Il prit un otage, au hasard, et se mit à courir en direction d’une verrière. La plus éloignée, il fallait que tout le monde en profite. Henry le suivait de près. Dans le feu de l’action, il ne manqua pas de le souligner :

–Que faîtes-vous Henry ?

–Dois-je rappeler à Monsieur, que les sentinelles supposées le retenir risquent d’être mortifiées par sa disparition inopinée, d’autant qu’elles n’auront été prévenues par Monsieur votre père.

–Et, tel que je vous vois, vous comptez les rassurer.

–La perspicacité de Monsieur me stupéfiera toujours.

–Et si vous ne le faisiez pas ?

Le majordome sourit.

–Voilà qui serait très méchant, Monsieur.

Il adressa à son maître un rapide clin d’œil, s’immobilisa avant de tourner les talons. Il semblait soudainement s’être totalement désintéressé de l’action.

Paul réfléchit rapidement. Et finalement, il préféra la forme au fond. Après avoir relâché son otage, il continua sa course à travers la verrière, la brisa et ri comme un dément à mesure qu’il tombait.

Comme prévu, la sécurité n’avait pas eu le temps de réagir, et la foule resta médusée devant le trou que le jeune Roderick avait percé dans la surface cristalline et qui laissait à présent s’insinuer le vent. Et à la vérité, c’était plutôt pour cela que personne ne lui adressait vraiment la parole…

3 commentaires:

RiyeT a dit…

Juste énoooorme!!! Trop fort le personnage de Paul. Je trouve cette partie tout simplement excellente. Tant par la fluidité des descriptions, le choix des informations pertinentes (et oui, tout est dans le timing ^__^), et la création d'un Paul aussi improbable qu'il est fougueux.
L'univers que tu mets petit à petit en place me plaît beaucoup: keep going!

Potemkin a dit…

Ouarf... Je vais rougir là ! o^_^o

Bien content si tu as aimé !

Je ne pense pas que j'aurais le temps de mettre la suite en ligne avant mon départ au Maroc, mais à mon retour, on continue !

Petit Homme Qui Trébuche Dans La Nuit a dit…

Ayez , aie tout lu!

Bon, première réaction, j'ai trouvé ton plus gros défaut: celui des gens doués (i.e., ceux qui n'ont jamais eu besoin de travailler pour avoir de bonne "note").
A l'identique de Garden City, ton Cycle de Terre manque de méthode... et c'est rageant parce que c'est drôlement bien foutu!

Je préférerais que tu prennes un peu plus de temps avant de poster et de vraiment relire (une bonne demi-douzaine de fois) tes textes! (en plus tu peux en profiter pour vérifier l'orthographe et la grammaire... faudrait que je vérifie, mais il m'a semblé voir trainer une phrase sans groupe verbal... gênant quand même).

Vous étiez au moins...