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mardi 21 décembre 2010

Les interviews fantastiques 2 : Le chasseur

Sam, le journaliste, tire sur les pans de sa veste pour se donner de la contenance. Pourtant, il n'en mène pas large. Autant sa précédente interview lui promettait-elle de la courtoisie, de la douceur, et, pourquoi pas, de la délicatesse ; là, il s'attendait au pire.
Arrivé avec une vingtaine de minutes de retard, l'homme s'installe. Il n'est pas très grand. Il aurait presque l'air civilisé. Les apparences sont parfois trompeuses. Cet homme que Sam s'apprête à interviewer est un célèbre chasseur de troll.
Il tend au journaliste une main d'une grande finesse. Lorsqu'il s'en saisit, Sam a aussitôt l'impression qu'un rouleau compresseur lui broie les métacarpes.
Il retire sa main endolorie et son interlocuteur s'excuse alors avec un sourire gêné.

"-Hem, *Aïe* Chasseur –si vous permettez que je vous appelle ainsi évidemment–..."

L'homme hoche alors la tête d'un air entendu :

"-Je ne sais pas comment vous feriez autrement.
-Bien, donc, Chasseur, vous exercez un métier particulièrement difficile par les temps qui courent ; comment vous est venue votre vocation ?
-Le plus naturellement du monde et sans que j'y prenne vraiment attention. Je voyais autour de moi des tas de gens se faire agresser par ce monstre infâme et en perpétuelle recrudescence. Et puis un jour, je suis intervenu. Je n'y ai pas vraiment réfléchi, je me suis simplement attaqué à cette grosse bête. J'ai tout de suite compris que j'avais ça dans le sang.
Bon, entre vous et moi, les premières fois, ça n'était pas joli-joli... J'avais du mal à estimer la force qu'il fallait déployer contre ces bêbêtes. J'ai un peu tout essayer : de "nu avec un gourdin" à "tirer à gros boulets avec un canon à bout-portant". Et puis, avec le temps, j'ai fini par trouver l'équilibre qui s'imposait et par me constituer une petite équipe d'intrépides avec laquelle je pourchasse toujours le troll, où qu'il se cache.
-Certaines personnes ne vous portent pas particulièrement dans leur cœur.
-Je pense que vous faîtes référence à ce que nous appelons les "bien-pensants" : ces personnes qui reprochaient à Desproges d'être impertinent de son vivant pour l'encenser une fois mort. Des personnes pour lesquelles je n'ai, il faut le dire, pas beaucoup d'estime."

Visiblement insatisfait par la réponse, le journaliste décide de pousser un peu plus loin.

"-On vous aurait... Disons, reproché d'user des même techniques que les trolls en certaines occasions.
-Hum, oui, je vois ce à quoi vous faîtes allusion. Des événements fâcheux. Et nous avons sans doute nos torts aussi, il ne faut pas nous voiler la face ; pour chasser le troll efficacement, il faut s'imprègner de ses moeurs, ses coutumes. Parfois, sans y prendre garde, cela ressurgit, en public. Et il peut y avoir des dommages collatéraux, mais nous essayons toujours de limiter les dégâts.
-Mais comment faîtes-vous pour trouver le troll ?
-Cela dépend. Il y a plusieurs catégorie de trolls.
Il y en a de particulièrement stupides : ceux qui se manifestent spontanément, qui vous donnent jusqu'aux armes pour les pourfendre. En général, il s'énerve, il tempête, et puis il tombe sous le coup de quelques traits acérés.
Il y a le faux troll, l'admirateur du troll : c'est certainement le plus facile à combattre. Il est mal équipé. Il suffit de lui mettre une bonne fessée, et généralement, il n'y revient pas.
Plus dangereux, il y a l'ancien chasseur de troll. Celui qui est passé de l'autre côté de la barrière. C'est qu'il faut y prendre garde, vous savez, personne n'est à l'abri d'une mutation soudaine. Ces derniers sont préparés à toute éventualité, et portent préjudice à notre profession.
Il y a le vieux troll : celui sur lequel plusieurs chasseurs se sont cassés les dents. Il faut donc être habile et l'attaquer au moment où il s'y attend le moins ; le guetter jusqu'à ce qu'il fasse une erreur, et alors LÀ, on s'enfonce dans la brèche. Je ne vous cache pas que pour ce genre de troll, il faut être prêt à s'attaquer même aux mamans.
Il y a le troll rigolo, ou troll débonnaire. Je pense notamment à Ralph Pootawn. C'est celui qu'on a envie de laisser vivre sa vie, qui ne fait pas vraiment de mal aux gens ou ne leur porte aucun préjudice, qui s'ébat joyeusement. On en enrôle certains pour combattre à nos côtés. C'est certainement le troll que je préfère : celui qui vous donne envie de croire en un troll meilleur.
Évidemment, plus on est nombreux à conjuguer nos forces, plus il est facile de s'en prendre à un troll. S'il n'appelle pas trop de renfort, le combat est plié en moins d'une journée.
-Et... Vous est-il déjà arrivé de combattre plus fort que vous ?
-Je ne veux pas me vanter, mais non, pas vraiment. Il y a eu de farouches batailles, bien sûr, et certains m'ont forcé à m'y reprendre à deux fois, à rassembler mes forces, à redoubler d'ingéniosité, mais dans l'ensemble, je ne vois aucune ombre au tableau.
-Quel est le pire troll auquel vous ayez été confronté ?
-Ha... Il est vrai que je ne me suis pas excuser pour les vingts minutes de retard. Vous avez du penser que j'avais relégué mon civisme au vestiaire."

Sam sent soudain qu'il tient une véritable exclusivité. Il ne parvient pas à retenir la question que tout journaliste professionnel se doit d'oublier définitivement : la question qui reste en suspend.

"-Voulez-vous dire que... ?
-Oui, vous allez être le premier à relater l'inénarrable.
Voyez-vous, les chasseurs de trolls sont souvent obligés, pour gagner leur croûte, de se rabattre sur des monstres publics, ou d'intervenir lorsqu'une demoiselle –ou plus souvent un quidam– se trouve menacée. Il est rare dans une carrière de pourfendeur de tomber sur un troll qui vous est dédié. J'ai rencontré le mien aujourd'hui même ! Un bon gros troll, velu, méchant, farouche."

Le journaliste considère alors le Chasseur avec un oeil neuf. On peut voir dans ses yeux passer ce qui s'apparenterait le plus à du respect.

"-Mais vous avez l'air parfaitement serein. Jamais je n'aurais pu penser que vous reveniez d'un tel échange !
-Ho, j'ai livré de plus longues batailles, mais aucune n'a égalé en intensité celle qui s'est déroulée aujourd'hui. Pour la première fois, j'ai ressenti des motivations bien différentes. Il est évident que tout troll tend à se retourner contre son agresseur, mais lorsque celui-ci vous prend directement pour cible, vous ne savez plus trop comment réagir.
-Finalement, comment vous en êtes vous sorti ?
-Je ne fais pas le fier, mais je pense avoir vaillamment lutté contre ses assauts. À mesure qu'il s'épuisait –le troll s'épuise souvent en injures et en vaines menaces, c'est quelque chose qu'il faut entretenir– j'ai fait appel à ma botte secrète : le contre-appel du troll. Parce qu'il y a souvent un humain particulier auquel le troll s'est attaché. C'est un atout majeure lorsque l'on est capable de trouver de qui il s'agit.
J'ai été sans pitié, et la bête est morte. Je n'exclue pas un retour de flamme, mais j'ai pris le temps de me prémunir. Si elle ressuscite, il y aura des sanctions pires que le shéol !
-Pour conclure cette interview, que feriez vous si je vous disais... HO MON DIEU, DERRIÈRE VOUS, UN TROLL !"

Le chasseur, sans se départir de son regard impavide, se lève et s'en va.
Alors, bien malgré lui, le journaliste ne peut s'empêcher de penser : "quand même... Quels types ces chasseurs de trolls !"

mercredi 24 novembre 2010

Je vous ai déja dit que : je suis sur Trimtab

Mes chers petits amis, vous le savez, je cite souvent le blog de Guillaume : Trimtab. Et bien sachez qu'aujourd'hui, votre dévoué serviteur y écrit un petit billet sociologique sur les zombies. Je vous invite donc à vous rendre sans plus attendre ici.

Et pour savoir ce que cet article m'a inspiré, je vous enjoins, si ce n'est déjà fait, à lire Z-World, première partie.

Je reviens plus tard avec une interview fantastique !

lundi 15 novembre 2010

Interview fantastique 1 : Le Prince Charmant

L'homme cherche un visiblement le petit bouton d'enregistrement de son magnétophone. Il n'a pas l'air particulièrement rodé : ses mains tremblent, il est vraisemblablement impressionné de se retrouver en présence de son interlocuteur. Pour faire bonne figure, il pose son enregistreur sur la table en bois qui les sépare, croise les jambes, sort un petit calepin et un stylo, et remonte ses grosses lunette en écailles sur son nez.
Amusé, le Prince Charmant tente de le rassurer avec un sourire, provocant l'effet inverse ; Le journaliste se raidit encore d'avantage dans son fauteuil Louis XV.

"-Bien, Prince Charmant, je vous propose de commencer l'interview sans plus attendre.
-Parfait, je vous attends. Vous a-t-on proposé de boire quelque chose ? N'importe quoi ?"

Le prince n'a visiblement pas à se forcer pour être, si ce n'est charmant, tout du moins attentif et serviable.

"-Je... oui, non, merci, c'est très gentil à vous, j'ai tout ce qu'il me faut. Commençons s'il vous plaît.
-Je vous écoute.
-Bon, parfait. Premièrement, Prince, une question que l'on a du vous poser à de multiples reprises, mais... Le journaliste cherche quelques instants la meilleure formulation possible. Bon, comment assumez-vous aujourd'hui, votre statut ?
-Effectivement, c'est le genre de question que l'on est souvent amené à me poser. Mais ne vous en excusez surtout pas, je vous rassure, mes amis n'en reviennent toujours pas, eux non plus, vous savez.
Pour vous répondre, je dirai tout simplement que je ne suis pas né prince. Et en toute honnêteté, jusqu'à l'année dernière, j'étais non seulement persuadé que cela ne m'arriverait jamais, mais que je ne m'en porterais pas plus mal. J'imagine que j'ai juste eu une chance insolente, même si ça n'est pas tous les jours facile de porter ce titre.
-Justement, parlons-en de ces facilités : notoriété, prestige, pas encore pouvoir, mais j'ai entendu dire que ça ne saurait tarder... Est-ce si compliqué que cela d'endosser toutes ces responsabilité ?

Le Prince sourit à nouveau. son regard francs et clair semble se perdre un peu derrière le journaliste.

- Et bien, je pense que vous vous arrêtez à la partie émergée de l'iceberg mon cher ami. Et à vrai dire, possiblement sur toutes les facettes de ce personnage que l'on me prête et que je suis le plus susceptible de détester. Mais je vous comprends. Il est vrai que la réception de cet hôtel est quelque peu impressionnante, ce n'est pas le genre de chose auxquelles on se fait rapidement. Le journaliste réalise que le Prince vient quasiment de le traiter d'amateur sans se départir de son sourire, avant de reprendre. Voyez vous, j'ai pris sur mon emploi du temps pour venir vous répondre, car être le Prince Charmant me contraint à concilier tous les aspects de ma vie d'avant avec mes obligations chevaleresques. De prince, je n'en ai que le titre.
-Que votre "chère et tendre" comme vous vous plaisez à l'appeler, a pourtant dénigré il y a peu.

Le Prince regarde à nouveau le journaliste droit dans les yeux. Il s'y attendait à celle-là.

-Effectivement. Un jour, je suis un preux chevalier, et le lendemain, elle décrète la "mort du Prince Charmant". J'imagine que mes prédécesseurs exerçaient un métier plus en accord avec leur temps.
Auparavant, on était un Prince à plein temps. La femme restait dans son donjon, on s'entrainait à pourfendre quelques dragons, orcs, ou traîtres, et on allait la sauver. S'ensuivait généralement un mariage, on engendrait une tripoté de marmots prêts à reprendre le flambeau de l'un ou l'autre des parents, et on vivait heureux pour jusqu'à la fin des temps -valeur relative lorsque l'on était appelé à mourir à 35 ans. Pour cela, je vous assure, votre lignée n'était pas du genre à vous traiter de machiste consommé, à prendre les décisions politiques opposées aux votre ou à fomenter votre perte avec une petite révolution parricide.
-Tandis-qu'aujourd'hui... ?
-Disons que la vie d'aujourd'hui a quelque peu changé l'exercice de la fonction. Pour commencer, il faut savoir que la principauté charmante n'entretient plus son homme. Ho, depuis un certain cahier de doléances en 1789, certes, mais il fallait le rappeler. Ensuite, il faut toujours composer avec les monstres, mais on guerroie à présent presque uniquement avec des hordes de trolls, qui ont chassé toutes les autres créatures fantastiques. La WWF tente bien de réintégrer quelques dragons, licornes ou tyrannosaurus-rex, mais rien n'y fait, le troll prédomine toujours. C'en est lassant à la longue. D'autant que les assauts peuvent surgir de n'importe où, et croyez-moi, ça n'est pas toujours facile de se promener avec une épée bâtarde lorsque l'on porte un costume Paul Smith dans le métro, ou, plus compromettant, lorsque l'on profite d'un instant de grâce dans la couche de sa dulcinée.

Le journaliste semble soudain avoir retrouvé son âme d'enfant. Il s'agite à présent dans son fauteuil, oublie sa gêne son impertinence, et boit les paroles du prince.

-Mais au-delà de ses simples choses -assez futiles finalement-, la vraie révolution dans ce monde de prince et de charme est toute féminine.
-Voulez-vous dire que vous regrettez l'époque "bénie" où la chaste princesse vous attendez bien sagement en pratiquant des activités aussi utiles que la couture ou le chant et la harpe ?
-Non, bien sûr que non. Je ne suis pas seulement pour la libération de la femme, je pense également et depuis ma prime enfance que la différence, quelle soit sexuée ou ethnique, n'est qu'un outil de contrôle primaire datant d'une période révolue.
Simplement... Simplement il est certain que le rôle fait moins rêver qu'autrefois, que les petites filles ont a présent bien grandi, qu'elles travaillent et s'amusent parfois plus que vous ; vous n'êtes pas à l'abri d'une humeur changeante, ou d'un malandrin croisé dans un quelconque bar obscur et qui aura tôt fait de vous retirer votre titre, votre honneur, et la femme de votre vie.
-Si j'entends bien ce que vous dîtes, Prince, vous n'êtes qu'un homme comme les autres, un peu plus romanesque et romantique peut-être ?

Le Prince sent la pitié de celui à qui l'on vient de briser un rêve poindre dans les paroles du journaliste. Il n'en demeure pas moins souriant. Il a l'habitude auprès de la gent masculine.

-Ho, non, au contraire. J'aurais tendance à vous dire que je suis moins qu'un homme. Pour beaucoup, je ne suis plus qu'un titre, et j'espère simplement le conserver le plus longtemps possible, même s'il est entaché, ou qu'il a perdu de sa superbe.
Je pense que beaucoup m'envient, et je ne me plains pas. Il s'agit simplement d'un combat permanent. Mais qu'il est doux d'en retirer les fruits, chaque soir et chaque matin.
-Vous voulez dire... ?
-Auprès de ma "chère et tendre", oui, parfaitement. Car vous savez, finalement, s'il y a bien une seule personne pour laquelle je souhaite préserver mon titre, c'est bien elle.

Le journaliste remercie le Prince Charmant de lui avoir consacré du temps, se relève, un peu décontenancé. C'est bien la première fois qu'un personnage fantastique lui paraît aussi réel. Et aussi touchant. L'attachée de presse lui fait signe, il va régler les derniers détails avec elle.
Le Prince Charmant se retire, quitte le hall du Georges V, remet sa cape, et remonte sur son alezan farouche.
Au milieu de la circulation, le journaliste le suit du regard pendant un temps, et il continue de se répéter : "vraiment, c'est pas toujours facile d'être le Prince Charmant"

Vous étiez au moins...