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vendredi 17 juin 2011

Le Cycle de Terra : L'Enfant du Rêve (4)

Chapitre Un : Convergence


Troisième Partie : Secteur Quatre


Azur descendit du belvédère qui surplombait la Corniche. Il attendait Aria. Elle aimait contempler le paysage au petit matin. Aria regardait chaque chose avec émerveillement, comme s’il s’agissait de la première et de la dernière fois qu’elle était amenée à les contempler.

Azur pensait souvent combien Aria, du haut de ses huit ans, était différente des fillettes de son âge. Elle était calme, posée, réfléchie : un vrai bonheur. Avec sa peau claire, ses cheveux blonds comme un incendie, ses yeux bleus et son visage poupin, il ne faisait aucun doute que sa beauté feraient, dans les années à venir, des ravages. Mais Azur ne s’en inquiétait pas trop.

Elle le rejoignit bientôt. On pouvait voir son ombre se projeter sur la poussière qui retombait mollement. Le rebord de la Corniche baignait pour l’instant dans la lumière du matin ; l’ensoleillement du quatrième étage ne durait qu’une poignée d’heures. Aria marchait tranquillement, sa robe bleue au vent. Arrivée au niveau d’Azur, elle lui tendit une main, qu’il prit délicatement, et tous deux s’enfoncèrent alors plus profondément dans la ville, en direction du marché. Ils empruntaient des chemins qui sinuaient entre les petites maisons en pierre de taille du quartier. Azur aida Aria à monter sur les petits murets qui bordaient la route et sur lesquelles se reflétaient quelques rayons qui semblaient les polir. À mesure qu’ils s’éloignaient du belvédère, les rues devenaient plus larges, la terre battue laissait place à un pavage fin, et les maisons gagnaient un ou deux étages. Certaines possédaient de somptueux jardins dont les arbres proposaient de délicats ombrages.

La jonction entre le quartier du marché et la corniche était marquée par un grand escalier flanqué de deux rampes en pierre au décor ciselé. L’esplanade en contrebas aboutissait sur un pont d’une vingtaine de mètres de long, uniquement destiné aux promenades, qui enjambait un cours d’eau. Il était bordé, par quatre lampadaires noirs, ouvragés de cuivre argenté, qui dispensaient une lumière tamisée à la nuit venue. De part et d’autre du cours d’eau avaient été aménagés des quais pavés, largement fleuris et boisés, qui accueillaient quelques étales dans la matinée.

Le quartier s’animait très tôt, du fait du marché quotidien, et l’agitation qui y régnait tranchait avec le calme de la Corniche. Les rues se remplissaient de gens, de fragrances et de bruit jusqu’à une heure avancée. Dans la ruelle qui menait le jeune homme et l’enfant vers la place centrale, les boutiques ouvraient à l’aube pour concurrencer les marchands ambulants ; l’on pouvait sentir la chaude et moelleuse odeur des brioches qui sortaient du four d’une boulangerie, les essences sucrées, acidulées, puissantes et entêtantes de centaines de fleurs aux couleurs improbables, ou encore le parfum de fer chaud des fonderies artisanales qui réalisaient des pièces d’orfèvreries pour certaines, de machineries pour d’autres. Les maraîchers, poissonniers, ou bouchers rivalisaient d’éloquence pour vanter la fraîcheur de leurs produits, tandis que les badauds discutaient avec ardeur le moindre prix. Çà et là retentissaient des cris de bêtes et des tintements métalliques.

Lorsqu’ils arrivèrent aux abords de la place, l’étreinte d’Azur sur la main d’Aria se fit plus forte. Elle s’agrippa à lui en retour, comme pour le rassurer ; bien que fascinée par ce tumulte incessant, jamais elle n’aurait songé à s’éloigner ne serait-ce qu’un instant de lui.

À côté de la place centrale, on aurait pu dire du quartier qu’il était calme. Si les rues alentours étaient agitées et bruyantes, il n’y avait aucune commune mesure avec l’effervescence épileptique qui emplissait l’espace. Dégagée –ce qui n’avait guère dû arriver depuis son édification–, la place était considérablement étendue. Carrée, de près d’un demi kilomètre de côté, elle était desservie par une trentaine de rues et de passages. Pour éviter le stationnement de véhicules de livraisons dans un quartier à l’encombrement déjà maximal, un wagon cheminait le long d’un rail suspendu entre l’ascenseur principal du secteur et plusieurs centres d’où étaient répartis les approvisionnements de diverses échoppes. Les progrès en matière d’éclairage avaient été prodigieux depuis la découverte de l’énergie cristalline. Bien qu’aucun rayon de soleil ne parvint jamais jusqu’au marché, la lumière que diffusaient les puissants projecteurs mobiles réparties sur la voûte de l’étage supérieur, donnait l’illusion d’être en plein jour. L’intensité et l’inclinaison de l’illumination variaient avec l’heure de la journée. Lorsque tombait la nuit, on allumait les lampadaires et le plafond s’illuminait d’une myriade de projecteurs semblables à des étoile. Le système avait été adopté dans l’ensemble de Fhèbe, depuis qu’une étude avait démontré que certains citoyens n’avaient même jamais vu le ciel de leur vie.

Azur et Aria évoluaient comme ils pouvaient dans la foule. Ils s’arrêtèrent à hauteur du stand d’un boulanger ambulant –qui, depuis le temps, n’avait plus d’ambulant que le nom– et les doux effluves sucrés de ses pâtisseries fraîches leurs parvinrent aux narines. À côté d’eux, une mère peinait à retenir son fils qui semblait bien déterminé à goûter tous ces délices, crémeux ou meringués. Une dame retombait en enfance devant les proportions impressionnantes des pâtisseries. Le vieil Ezra qui tenait la boutique regardait avec la bienveillance du marchand satisfait ce petit monde qui se pressait devant ses vitrines de gâteaux. Il accueillit Aria avec son entrain habituel, et la même ritournelle :

–Alors petite demoiselle ! Prête à faire, aujourd’hui encore, un grand bond gustatif ?

Le vieux pâtissier avait commencé par impressionner la fillette, les premières fois qu’ils s’étaient approchés. Avec son incroyable moustache et son gros nez, il avait rappelé à Aria l’ogre d’un conte qu’Azur lui avait lu un soir. Le temps aidant, elle s’était aperçu de la réelle gentillesse du bonhomme, et elle lui répondait immanquablement par son plus beau sourire. Azur s’accroupit à côté de la petite fille :

–Alors Aria ? Tu as choisi ?

L’enfant faisait des mines gourmandes devant chaque gâteau. Elle se retourna vers Azur, et le regarda par en dessous, en se balançant d’une jambe sur l’autre, les mains jointes dans le dos.

–Non, jeune fille. Un seul. Sinon, tu ne les finiras jamais.

Elle ne discuta pas. Elle ne le faisait jamais. Elle se retourna vers la vitrine, avec l’air concernée de celle qui doit prendre une décision terrible. On pouvait sentir dans son regard qu’elle pesait bien le pour et le contre, et établissait un rapide rapport entre la quantité de crème, de chocolat, de fruits ou de caramel, et le plaisir substantiel qu’elle pourrait en retirer. Comme elle ne pouvait se résoudre à un choix arrêté, elle finit par se mettre une main devant les yeux et à pointer un endroit de la vitrine au hasard. Elle osa un coup d’œil entre deux doigts écartés, pour voir le vieil Ezra prendre sur ses indications un gâteau plein de chocolats et de pâte à choux et l’emballer. Azur paya, et lui tendit. Elle croqua rapidement dedans, pour se rassurer… Le hasard avait encore une fois bien fait les choses ! Il s’agissait exactement de ce dont elle avait envie. Contente et rassurée, elle entama la dégustation de ce délice avec la plus grande application. Ces mets recelaient toujours de bien des secrets. Même si leur présentation était impeccable, ces gâteaux ne semblaient pas, à proprement parler, fins. Pourtant, lorsque l’on croquait dedans, on ne pouvait être qu’agréablement surpris par la complexité du mélange de saveurs. C’était un plaisir gustatif au delà des mots. La raison en était simple. Ezra pratiquait l’art de la pâtisserie comme certains grands maîtres peignaient : en mettant son âme dans chacune de ses oeuvres. Mais son travail était loin d’être accompli. Théoricien dans l’âme, il comptait fermement trouver le « chiffre d’or » de sa profession, et cherchait constamment à équilibrer le rapport entre la matière, l’apparence, la texture en bouche et les saveurs. Il en résultait ce qu’il appelait la ‘dynamique’ d’un gâteau –à savoir, l’enthousiasme escompté lors de la dégustation. Il continuait donc ses recherches à la poursuite de la ‘dynamique’ suprême. Elle existait. Il en était persuadé, et il n’en était pas loin.

Azur reprit la main de la fillette alors qu’elle découvrait une fine couche de caramel au beurre salé qui craquait légèrement sous la dent. Elle manqua s’évanouir d’aise, se ressaisit en assurant sa prise à la main protectrice, et tout deux s’éloignèrent de la boutique non sans avoir salué le vieil homme. Demain, sa boulangerie serait fermée. Aria ne savait pas si elle y survivrait.

–Tu es satisfaite ?

Aria se retourna vers Azur. La question était purement rhétorique. Comment pouvait-on ne pas être satisfait par une pâtisserie provenant de la boutique d’Ezra ? Elle hocha cependant la tête en signe d’approbation.

Aria ne parlait pas. Non pas qu’elle en fut incapable. Elle semblait simplement ne rien avoir à dire. Cela ne dérangeait pas Azur. Le jour où elle aurait quelque chose à lui communiquer, elle le ferait. Il n’en doutait même pas. Ce n’était pas comme si lui-même était particulièrement éloquent au quotidien.

Il regardait Aria manger sa sucrerie, et il repensait sans cesse aux circonstances de leur rencontre ; rencontre qui remontait à quatre ans maintenant.

Un jour, Aria était tombée sur Azur. Au sens propre du terme. Il avait entendu un sifflement, noté une ombre qui se dessinait, de plus en plus précise, et avait relevé la tête. Il s’était retourné juste à temps pour s’apercevoir qu’une petite fille au cheveux blonds chutait dans sa direction à grande vitesse. Elle avait tendu ses petits bras en avant, et il avait amorti le choc avec son corps. Il s’était relevé, chancelant. Elle n’avait pas ouvert la bouche, pas prononcé un mot, et s’était contentée de lui sourire. Un de ces sourires remplis de malice qui l’avait immédiatement séduit. Il lui semblait visiblement tout à fait normal de se retrouver dans les bras d’un parfait inconnu après avoir manqué de s’écraser sur le pavé. Lorsqu’il croisa son regard, il ne fit aucun doute qu’elle l’avait déjà adopté. Parfois, il lui semblait même que ça n’avait pas été lui, mais elle qui l’avait choisi.

Jamais cette fillette n’aurait dû lui tomber dessus sur une esplanade parfaitement dégagée. Il avait immédiatement repoussé la possibilité qu’elle soit tombée du cinquième étage de quelque manière que ce fût. La voûte supérieure s’élevait à plus de quatre cents mètres du sol, et l’impact après une telle chute aurait été mortel pour les deux protagonistes. De plus les soubassements des différents étages étaient enfouis à une cinquantaine de mètres en dessous de la surface habitée. Les accès aux différents sas de maintenance étaient très largement surveillés, et il semblait impossible qu’une enfant de quatre ans ait pu s’y déplacer librement. Il avait beaucoup réfléchi à la configuration de l’endroit où il se trouvait, aux circonstances de leur rencontre. Et lorsqu’il y réfléchissait il en venait toujours à penser qu’Aria était tout simplement apparue à une dizaine de mètre du sol avant de fondre sur lui. Il s’en accommodait. Il avait vécu par le passé des événements bien plus perturbants.

–Je vais aller voir Dorgan.

La jeune fille se retourna vers Azur, encore un peu perdue dans ses pensées. Les gâteaux d’Ezra la transportaient dans une autre réalité.

–Tu veux venir ?

Elle fit oui de la tête. Azur savait qu’Aria appréciait l’atmosphère si particulière de la boutique de Dorgan. Comme tous les ateliers, il était exigu, encombré, plein de rouages, de pistons et de pièces de rechanges. En certains endroits traînaient des bras hydrauliques ou de exosquelettes de combat. Il était si fortement imprégné d’huile qu’elle suintait des murs et il y flottait une odeur d’essence et de rouille qui vous prenait les narines pour vous les rendre en mauvais état. C’était une formidable caverne aux merveilles pour qui s’intéressait d’assez près à la mécanique.

Dans ce fatras régnait Dorgan. Il extirpait du chaos ambiant des choses insoupçonnées. Et lui et le bleu de travail maculé d’huile et d’essence, qu’il portait depuis trente ans, avaient effectué plus de réparation que quiconque.

Dorgan devait être l’un des rares hommes de Fhèbe à posséder un robot –un modèle au nom imprononçable que le mécano avait rebaptisé Stan. Il fallait dire que ces derniers n’avaient pas très bonne presse depuis la révolution des méchas, qui avait pris fin aussi subitement qu’elle avait commencé, près de deux siècles auparavant. Et le robot du mécanicien devait avoir été construit à cette période. Il était résolument obsolète, et malgré les nombreuses réparations et améliorations que lui apportait Dorgan, il ne fonctionnait jamais plus d’une semaine d’affilée. De plus, il était particulièrement gourmand, et les batteries qui l’alimentaient étaient presque introuvables depuis la découverte de l’énergie cristalline. Bien que le mécano ait tenté de le faire à plusieurs reprises il semblait impossible de lui greffer un transformateur moderne ; la taille du cristal aurait été disproportionnée. Et aucune des tentatives de Dorgan pour baisser sa consommation n’avait abouti.

L’homme approchait la cinquantaine. Il était fin et sec ; nerveux. Ses cheveux gris étaient retenus en une queue de cheval qui dépassait sous un bandana. Il avait des traits durs ; les traits d’un homme que la vie a épuisé, mais qui s’y est résigné.

Nul ne savait exactement ce qui unissait le jeune homme au mécanicien. Le jour où Azur s’était rendu à l’atelier de Dorgan, la première fois, les deux hommes semblaient se connaître depuis toujours. Quiconque connaissait le mécano un tant soit peu savait qu’il n’aimait personne et ne respectait pas grand monde. Pourtant, il témoignait au jeune homme une sorte de déférence et la fillette l’avait immédiatement attendri. Aussi acceptait-il qu’ils viennent lui rendre visite. Il ne l’aurait jamais avoué, mais pouvoir enseigner à Azur des principes de mécanique élémentaires tandis qu’Aria les écoutaient attentivement constituait une de ses dernières joies.

Lorsqu’ils arrivèrent à l’atelier, en bordure de la place, Dorgan était en train de vérifier le châssis quadrupède de Stan, en pestant, comme à son habitude. Azur saisit Aria par la taille et la posa sur une caisse en métal. Elle s’assit, les jambes croisées, et contempla le désordre ambiant dans un silence religieux. Dorgan ne s’était toujours pas aperçu de leur présence, ou ne le manifesta pas.

Azur s’éclaircit la gorge. Dorgan continuait de trifouiller le châssis.

-Je sais qu’t’es là gamin, n’t’excite pas.

-Vous savez, Dorgan, depuis le temps, vous devriez sincèrement songer à vous en débarrasser. Il vous aura coûté une petite fortune en entretien, et je ne parle pas de l’investissement temporel. Si les robots ont été créés pour nous faciliter la vie, le concepteur de Stan s’est pas mal fourvoyé. Vous y passez combien… les deux tiers de votre temps libre ?

Le mécano, toujours allongé s’essuya le front avec son avant bras.

-J’sais pas ce qui me dérange le plus, gamin. Le fait qu’t’aies raison, ou le fait que j’en vienne à considérer qu’il faudrait que j’t’écoute ?

Azur sourit intérieurement. Quiconque se serait permis une telle remarque sur Stan aurait déjà été invité à aller se faire voir ailleurs.

Dorgan daigna enfin s’extirper de sous le robot et se releva d’un bond. Toujours alerte, pensa Azur.

-Bon, gamin, allons droit au but, je sais qu’t’es pas là pour un cours magistral aujourd’hui, et j’crois pas qu’ça soit le jour des livraisons, donc t’attends que’que chose de moi, j’me trompe ?

-Ha, ça, on ne vous la fait pas Dorgan. Aussi vais-je vous poser la question immédiatement : qui suis-je ?

-Tiens, ça f’sait quoi… Deux, trois ans peut-être que tu n’me l’avais pas sortie celle là. Sache qu’la réponse s’ra toujours là même : « J’sais pas ». Et j’te l’répète : ce qui t’arrive est une bénédiction. Crois moi, j’aimerais bien oublier que’ques événements et reprendre un nouveau départ. Tout c’que t’as à savoir, j’te l’ai déjà dit. Mais continue à remuer ton passé, et tu finiras dévoré par tes propr’ démons. T’as pas mieux à faire que d’poursuivre ces chimères, maint’nant ?

Le mécanicien se tourna vers Aria pour lui sourire. On sentait que l’exercice était difficile, mais qu’il y mettait du sien.

-Ça fait un paquet d’années que j’te connais maintenant, gamin. Aussi, je sais très bien que le conseil avisé que j’vais te donner tombera dans l’oreille d’un sourd, mais j’vais quand même te l’dire : si t’as oublié ton passé, c’est qu’il doit y avoir une bonn’ raison. Alors continue comme ça !

Il y avait longtemps qu’Azur n’attendait plus vraiment que Dorgan lui fournisse quelque réponse que ce soit. Mais aujourd’hui, il était troublé. Même le mécano qui ne faisait pas attention à grand chose pouvait le sentir.

-Vous semblez ne pas comprendre Dorgan. Je vous avais parlé de ces hommes en costume qui semblaient me suivre il y a quelques années. Vous aviez mis cela sur le compte d’une paranoïa chronique. Après l’apparition d’Aria dans ma vie, ces manifestations ont mystérieusement pris fin, tant et si bien que j’ai fini par croire que vous aviez raison.

Et puis, il y a quelques jours, tout a recommencé. Au moment où nous parlons, deux hommes sont en train de faire le pied de grue devant votre atelier. Ils nous suivent depuis que nous sommes arrivés sur la place.

Et, il y a le rêve ! Ce rêve récurrent ne peut pas être vide de sens ! J’y suis seul, et j’avance dans un monde hermétiquement obscur. Il y a ces formes qui se meuvent à côté de moi, mais elles sont indistinctes. Dans la pénombre, je n’aperçois que quelques silhouettes noires qui se détachent à peine des contrastes de gris ambiant. Soudain, sortie de nulle part, une faible lumière me prend la main. Il s’agit d’une petite fille ; Aria je pense. Elle brille si intensément que c’en est aveuglant dans ces ténèbres, si bien que je n’arrive pas à voir son visage. Elle projette sur toute chose un éclairage neuf, qui étire d’avantage les ombres, ce qui m’empêche de distinguer autre chose que ma route. Mais elle m’apaise. Généralement, le rêve s’achève alors que nous continuons notre progression en direction d’une lumière qui se profile sur l’horizon.

« Hier pourtant, le rêve a continué. Et j’ai vu émerger des ombres des silhouettes familières, hostiles, et inaccessibles. Puis il y a eu cette fracture. Quelque chose de prodigieusement violent, qui me brûlait intensément. Et les ombres ont tenté de dérober la lumière. C’est alors que je me suis réveillé.

« J’ai le sentiment que les ombres sont ce pan de mémoire auquel je n’ai plus accès ; cette sorte d’amnésie lancinante. Et quelque chose de primordial va se produire. Je crains que nous n’ayons plus tant de temps que cela pour discuter vous et moi Dorgan. J’ignore réellement pourquoi, mais je ressens un danger imminent.

Dorgan ne disait rien. Azur haussa les épaules. Lorsqu’il fit mine de partir, le mécano tendit vers lui un bras noueux et le saisit. Son regard avait une intensité peu coutumière :

-Gamin, plus un objet se trouve proche de la lumière, et plus son ombre grandit.

Azur était mal-à-l’aise, mais savait qu’il ne tirerait rien de plus du vieux mécanicien. Il attrapa la main d’Aria.

Au moment où ils franchirent la porte de la boutique, Azur entendit distinctement :

-Tu peux pas t’permettre de mourir gamin. Tu dois vivre, toi. Il le faut.

dimanche 26 avril 2009

Le cycle de Terra : L'Enfant du Rêve (3)

Chapitre Un : Convergence

Deuxième partie : Noblesse oblige

Paul souffrait difficilement la compagnie de ses pairs. Lorsqu’il se rendait au Siège des Grandes Familles de Rodia, aussi magnifique que fut le palais, ce n’était que contraint et forcé. Être le fils unique de Joseph Archibald Roderick comportait certaines obligations dont il se serait bien passé. Heureusement, et ce malgré la position de première importance qu’il occupait, personne ne lui parlait vraiment. Mais, et c’était une question que Paul se posait sérieusement, parlait-on vraiment au Siège des Grandes Famille de Rodia ? Pour lui, on devisait hypocritement, on se livrait à un jeu de menaces à peine voilées et de répliques assassines, sans jamais déroger aux règles édictées par la ‘Toute Puissante Étiquette’. On feignait un sourire, on cherchait les alliances les plus lucratives. On promettait, souvent –ce qui n’engageait à rien, comme se plaisaient à le rappeler les avocats à grand renfort de documents en six exemplaires contresignés par les parties en présence. Les moins riches courtisaient les plus puissants, en espérant récupérer quelques miettes de leur empire. On cherchait les mariages d’intérêt, et l’on voyait fréquemment de jeunes éphèbes aux dents longues courtiser quelques comtesses décaties dont les doigts parcheminés exhibaient crânement les seuls atours d’une fortune aujourd’hui envolée. Dans ce palais des apparences, seuls les signes extérieurs de richesse vous préservaient de l’ostracisme. Finalement, la noblesse rodéenne jouait à la noblesse rodéenne ; dans un spectacle dépourvu de toute originalité. Et ce n’était pas tant cela qui rebutait Paul. C’en était –il réfléchit quelques secondes– divertissant. Oui, divertissant, c’était le mot. Il s’en fallu de peu que cela fût nécessaire. Le commun du peuple ne possédait pas l’Étiquette. C’en portait-il plus mal ? Cela ne faisait aucun doute. Pour quiconque. On avait sorti un livre là-dessus. C’était pour cela qu’une fois encore, les médias présents pour couvrir ce simulacre d’événement se partageraient les soixante-deux pourcents de la population qui continueront à s’agglutiner devant leur écran. On leur distillait du ‘rêve’ devant lequel s’abrutir, oublier, afin de maintenir une tranquillité béate et candide. Il suffisait de lire les derniers best-seller pour se convaincre que la noblesse avait toujours ce ‘quelque chose en plus’ que le peuple et l’aristocratie lui enviaient. Non, ce qui mettait véritablement Paul hors de lui, ce qui était pire que tout à ses yeux, c’était que, malgré les répercussions qu’elle ne manquerait pas d’entraîner sur la mode à venir dans un futur proche, la noblesse s’habillait effroyablement, et de plus en plus, mal ! Cela et le fait qu’aucune réunion ne se soit transformée en un bain de sang ; ce n’était pas faute d’attiser les colères et de monter les familles les unes contre les autres. À la réflexion, c’était peut-être pour cette raison qu’on ne lui adressait la parole que peu ou prou.

Pourtant, Paul était lucide. Ce statu quo concernant la noblesse ne durerait pas. Ces entre-déchirements, ces guerres intestines n’avaient pas leur place dans un monde où se profilait, de plus en plus puissante, la Fédération Commerciale Fénobienne. Ces coquins de marchands l’avaient bien compris lors de la création hâtive de leur consortium économique indépendant. L’Étiquette n’avait plus sa place dans une économie de marché en pleine mutation, et aucun noble ne semblait s’en rendre compte. Ils auraient encore certainement l’impression d’avoir du pouvoir lorsque les grandes entreprises et les trusts internationaux se partageraient leurs fortunes sur leurs dépouilles encore fumantes. La noblesse était mourante, et seul un sursaut collectif pouvait y changer quelque chose. Les ennemis d’aujourd’hui devraient être les alliés de demain. Et les grandes familles ne pouvaient plus s’encombrer de la basse noblesse. Celle-ci pourrait éventuellement lui servir de bras armé… Cette pensée amusait beaucoup Paul. Le retour aux vraies valeurs, pensait-il. Et au costumes trois pièces, noirs, souhaita-t-il à la vue des exactions vestimentaires de certains invités.

Son visage et ses yeux noirs s’obscurcirent à mesure qu’il se plongea dans sa pensée. Il retrouva tout son attention lorsqu’un raclement de gorge se fit entendre distinctement à quelques pas de lui. Il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’…

–Henry !

Paul se retourna nonchalamment, mais un franc sourire illumina son visage légèrement androgyne. Sa longue chevelure noire s’animait lorsqu’il esquissait un simple mouvement de la tête.

Henry était en quelque sorte son valet personnel, son tuteur, et un compagnon fidèle. Ce dernier ne cachait pas avoir pour son jeune maître une affection toute particulière, et sa personne lui était entièrement dévoué. Il était le majordome de la famille Roderick depuis des temps immémoriaux. Et si un impérieux ennemi avait blanchi totalement ses cheveux, marqué ses traits, sa taille, et caché ses yeux pétillants derrière des lunettes dorées, il n’avait en rien altéré sa prestance. Henry restait un exemple de distinction et de goût. Son frac gris finement rayé se mariait élégamment avec son gilet pourpre broché d’or. Il semblait évident que seule cette chemise à col cassé était susceptible de s’accorder à ce nœud papillon. Ses souliers noirs brillaient sans outrage, et le blanc de ses gants de coton surpiqués était tout simplement inattaquable. « Confiez donc cette bande de primates dégénérés à Henry pour qu’il les éduque et les rende présentables », songeait-il en de telles occasions.

–Henry… Votre seule présence en ce lieu tend à contrebalancer la propagation de l’aberration visuelle ambiante. D’ailleurs, et dans le seul but de sauver quelques milliers, que dis-je, quelques millions de globes oculaires traumatisés, qui souffrent de la couverture médiatique d’une telle démonstration de mauvais goût, pourriez-vous vous placer discrètement dans le champ visuel de cette caméra ; ce, afin d’imprimer subrepticement la rétine de ceux qui seraient tentés de s’inspirer de telles horreurs pour habiller –si l’emploie de ce mot, ne constitue pas un barbarisme à l’heure actuelle– les générations futurs ? S’ils contemplent ce qu’est la véritable élégance, j’ai bon espoir que les couturiers abandonnent très prochainement le concept –doux euphémisme– de laideur. Ensuite, et bien… Je crois que la noblesse devra s’y plier également.

Henry sourit. Simplement. Attestant l’existence de la classe comme facteur de mesure objective et universelle des choses.

–Si cela peut rassurer Monsieur, j’ai remarqué que Monsieur s’efforçait déjà de le faire en se tenant dans la ligne de mire de quelques cinq objectifs différents. De plus, la position sociale de Monsieur lui assure une chance infiniment supérieure d’incliner les différents médias –dont, dois-je le rappeler, près de la moitié appartiennent à la famille de Monsieur– à diffuser son image, et ce, massivement.

–Hum… Vous aviez remarqué.

–Oui Monsieur.

–Bon… Mais vous avouerez que le trois pièces noir à rayures était un bon choix, n’est-ce pas ?

–Tout à fait judicieux Monsieur.

–Parfait.

Paul laissa s’écouler quelques secondes, durant lesquelles il sembla se perdre à nouveau dans sa pensée.

–Or donc Henry, pourquoi êtes vous là si ce n’est pour vous plier à mes quatre volontés ?

–Pour respecter celles de Monsieur votre père, Monsieur.

–… Qui désire s’entretenir avec moi dans les plus brefs délais, j’imagine ?

–L’on ne peut rien cacher à Monsieur.

–Hélas, Henry, hélas… Vous savez que je suis de santé fragile, et j’ai fort peur de perdre la vue, et mon intégrité mentale en restant ici quelques instants de plus. N’auriez-vous pas l’extrême obligeance de dire à mon père que je suis parti plus tôt, et que vous ne m’avez pas trouvé ?

–Je crains que cela me soit impossible, Monsieur. Pour trois raisons : pour commencer, Monsieur possède une santé de fer, et à moins de prétendre qu’une tierce personne ait pu directement injecter à Monsieur un bacille qui aurait provoqué une mort foudroyante j’ai peur que Monsieur votre père ne s’y trompe pas. Ensuite, Monsieur prétend que je serais capable d’user du stratagème astucieux, mais peu scrupuleux, qu’est le mensonge auprès de Monsieur mon employeur, au prix d’une position que rien au monde ne saurait remplacer. Enfin, Monsieur votre père aura placé à chaque issue connue de ce bâtiment quelques gardes surentraînés qui auraient pour mission de vous barrer l’accès dans l’éventualité où vous souhaiteriez sortir, sous peine de le payer de leur vie –ce qui, je dois le dire à Monsieur, semble beaucoup les motiver.

–Diable !

Paul s’avérait réellement contrarié par la situation. Il n’aimait pas que son père le prenne de vitesse.

–Oui, Henry, vos arguments se tiennent. Si vous veniez à prendre congé de nous, je pense que je n’y survivrai pas. Veuillez ouvrir la voie, je vous suis.

Henry regarda son maître par dessus les verres de ses lunettes. Il avait le sourire entendu de celui à qui on ne la fait plus. La dernière fois, le majordome avait à peine eu le temps de se retourner que Paul lui avait fracassé un candélabre sur l’arrière du crâne, ce qui avait eu pour effet de le placer dans une position horizontale, et un état de conscience proche du néant. Pendant plusieurs jours. Il ne lui en tenait pas rigueur. Il savait que le jeune noble n’était pas le genre d’individus à capituler aussi facilement, fussent les vies de plusieurs gardes en jeu.

–Bien, bien ! Je vous précède, et vous fermerez la marche. Vous êtes très fort Henry.

–Ho, moins que Monsieur. J’ai simplement pour moi l’expérience.

Ils se mirent donc en marche. Pour atteindre Joseph, ils devaient fendre la foule. Or la force d’inertie de la noblesse n’était plus à démontrer. Mais Paul était là pour faire voler en éclat les idées reçues, et il fallait bien se confronter en premier lieu à quelque chose de concret ! Aussi s’attaqua-t-il à ce problème de la manière la plus adaptée : physiquement ; à grand renfort de coups d’épaule, de coude, de dents, et de talons.

S’il fallait concéder au Siège des Grandes Familles de Rodia quoi que ce soit, ç’aurait été sa splendeur somptuaire. Situé au sommet de l’édifice, la salle circulaire d’une centaine de mètres de diamètre dans laquelle ils se trouvaient, surplombait la cité de marbre. Elle était surmontée  par une coupole de cristal et d’acier qui s’élevait à une vingtaine de mètre du sol.  La rigidité de la structure était assurée à la base, en de multiples points, par des colonnes de marbre rose que dominaient d’impressionnantes cariatides. Le blanc laiteux de la pierre qui les constituait, conférait à leur posture académique une délicate fraîcheur. Le mur était parsemé de baies dans lesquelles s’étalaient de magnifiques verrières qui offraient une vue imprenable sur la cité de Rodia. On pouvait voir au loin scintiller le fleuve Arso, faire un coude, puis disparaître derrière la skyline de verre. Dans la journée, les rideaux de velours cramoisi piqué d’or qui ornaient les baies étaient attachés par le biais d’embrasses de vermeil. En soirée, le sommet de la coupole réverbérait la voûte étoilée, et l’on tirait certains rideaux qui recouvraient alors une teinte d’un bleu profond ornée d’argent. L’éclairage était assuré par de solides candélabres en bronze blanc, disposé ça et là dans la pièce, et dont les bougies diffusaient des lumières de couleurs et d’intensité variées. Le sol était composé de tesselles de marbre, dont la teinte et la position pouvaient changer, pour offrir un décor sans cesse renouvelé.

L’ensemble était sublime, et ce devait être la dernière chose qui pouvait retenir Paul en ce lieu. Il était cependant persuadé que si elle avait été construite en une période contemporaine, cette salle aurait été maculée de rose bonbon et de bleu ciel. À cette idée, son visage se déforma en une moue appuyée de dégoût.

Ils arrivèrent enfin à hauteur de Joseph Roderick. Ce qui n’avait pourtant rien d’une mince affaire. Loin d’avoir abandonné l’idée de la fuite, Paul avait successivement tenté de feindre l’évanouissement, la crise d’épilepsie, la crise de démence ; il avait emprunter le plateau d’un serveur pour se faire passer comme tel, manqué de faire manger sa coupe de champagne à un noble qui avait eu l’audace de le considérer comme tel ; il avait tenté d’apitoyer, d’amadouer, de soudoyer, de menacer, puis finalement d’assommer Henry, mais toutes ses tentatives s’étaient révélées vaines.

Le patriarche de la famille Roderick sourit. C'était l’homme le plus influant de Rodia. Il possédait un formidable nombre d’entreprises, ainsi qu’une milice privée qui ressemblait plus sincèrement à une armée régulière. Il n’était pas grand, mais se tenait droit, dans une position proche du garde à vous, le port de tête altier, la tenue irréprochablement stricte. Paul aurait dit austère, mais il préférait toujours cela au relâchement général dont semblait souffrir le reste de la population. Son visage carré était caractérisé par de puissantes mâchoires et une barbe aux reflets d’argent impeccablement taillée. Sa coiffure était à l’image du personnage : militaire. Il portait aujourd’hui de grandes bottes en cuir par dessus son pantalon. Sa veste à col mao était entièrement boutonnée, mais Paul se doutait qu’il devait porter une chemise en dessous. L’ensemble était noir. Mais malgré la rigueur de son costume, Joseph aimait rire plus que tout. L’on voyait de temps à autres ses beaux yeux gris/vert, son regard franc et fier, se charger d’une lueur malicieuse.

Lorsque l’on considérait Paul et Joseph côte à côte, l’on s’apercevait immédiatement qu’ils ne se ressemblaient en rien. Le premier était grand, élancé, le second, massif et trapu. Si l’on se tenait suffisamment informé, il était de notoriété publique que Joseph était veuf, et que sa femme ne lui avait jamais donné le moindre enfant. Peu de temps après, Paul avait fait son apparition. Nul n’avait vraiment compris. Joseph était encore jeune et aurait pu se remarier. Les rumeurs les plus folles avaient alors couru sur ce mystérieux héritier. On avait évoqué une maîtresse, un fils caché. Certains y avait vu le signe d’un homme malade à l’avenir incertain, préparant sa mort et sa succession. Puis le temps a passé, et alors que son fils adoptif allait sur ses trente ans, le chef de la maison Roderick avait l’air plus en forme que jamais. Le plus étrange pour beaucoup était que Joseph semblait sincèrement aimer Paul. Et celui-ci ne pouvait que remercier son Roderick de père de ne pas lui avoir imposé de parenté à tendances fratricides comme cela paraissait être la mode au sein de la noblesse. Ces deux là s’étaient bien trouvés.

–Je suppose que tu auras encore tenté de t’éclipser un nombre incalculable de fois.

Sa voix était puissante, mais chaleureuse. Son timbre était grave, posé, et empli de sollicitude.

–Vous me surestimez encore une fois Père. Je pense qu’Henry en a tenu le compte exact tout à fait aisément.

–Monsieur Paul aura essayé de tromper ma vigilance à douze reprises, Monsieur.

–Je pense que je suis avant tout là parce qu’Henry, quelque part, aura réussi à me dissuader de mettre en oeuvre une bonne moitié des idées que je projetais d'éprouver.

–Monsieur est trop bon. Je tiens à souligner que Monsieur me voit ravi de constater qu’il aura complètement abandonné sa dernière suggestion.

–Différé, Henry, corrigea Paul. Je l’ai différé.

–En quoi consistait-elle exactement, interrogea Joseph ?

–Oh, en trois fois rien Père. L’habituel plan de secours d’usage ; je me contente de vous décochez un violent uppercut entre les côtes. Lorsque vous avez le souffle coupé, j’en profite pour vous assommer. Je joue bien évidemment sur l’effet de surprise pour prendre un otage, réduisant à une valeur presque nulle toute éventualité qu’un potentiel héros fasse appel à la sécurité, et traverse la salle en direction d’une verrière. Je dois vous avouer que j’hésite entre la briser dans la foulée, ou me retourner théâtralement, lorsque l’on me croit acculé, pour faire une annonce sur la déliquescence de notre belle jeunesse et la disparition du goût et de la pudeur. Dans tous les cas, je m’éclipse en sautant dans un rire de dément, sous un tonnerre d’applaudissements, ou, plus probablement, les regards médusés de l’assemblée.

Paul ne cillait même pas. Il était on ne peut plus sérieux et se contentait de répondre à la question de son père. Il ne savait pas lui mentir.

–Alors que l’on vient à peine de réparer la porte principale ? Et pour ce qui est des gardes à l’entrée ?

–Père, voyons. Si vous pensiez sincèrement qu’ils pouvaient me retenir, jamais vous n’auriez envoyé Henry me chercher.

Joseph lança l’un de ses rires tonitruants, mais sincère, qui fit que l’assemblée toute entière se tu et tourna vers eux son attention. Ses éclats trouvèrent des échos dans la voûte cristalline pour y tinter joyeusement. Les conversations reprirent.

–Et l’on me demande encore pourquoi je t’ai choisi comme fils !

–Moi le premier Père. Sans vouloir me plaindre ou vous critiquer, c’est loin d’avoir été votre décision la plus judicieuse. Je ne sais combien d’inimitiés mal placée vous avez pu vous assurez en cette occasion.

–Aucune qui n’ait été réglée depuis ce temps, tu peux te rassurer.

Joseph reprit contenance et son visage redevint sérieux, presque grave.

–Mais puisque nous parlons de mésalliances, j’aimerai que tu m’expliques la raison de tes agissements avec certaines familles.

–Tel que je vous vois, Père, vous devez faire référence à mes récents entretiens avec les héritiers de la famille Prima et mes tentatives de réconciliations avec les Thodos –qui, si cela peut vous rassurer, n’ont pas été particulièrement fructueuses pour le moment.

–Tu ne t’en défends même pas.

–S’il est une chose que vous m’avez apprise, Père, c’est d’être transparent face au fait accompli. Ce qui est loin d’être une qualité dans notre société. J’ajouterai à cela, que je ne comprends pas pourquoi je tenterais de vous cacher un événement qui a connu une couverture médiatique suffisamment importante pour reléguer la guerre des méchas au rang d’anecdote futile. Imaginons maintenant que je vous mente ; il faudrait encore que je m’en défende, dans le seul but de vous voir retirer un sentiment de satisfaction personnelle au moment où, au bord des larmes, je vous avouerais tout. Or vous ne m’avez jamais éduqué dans le but de vous concéder quoi que ce soit, fut-ce afin d’en retirer un quelconque avantage. En somme, j’imagine que votre éducation a porté ses fruits, et que vous pouvez être fier de ce que je suis devenu.

–Certes. Ce n’était cependant pas réellement l’explication que j’attendais.

–Vous connaissez mon pragmatisme Père. La fédération de Fhèbe prend une ampleur telle que les grandes familles se doivent de lui opposer un front uni. Tant politiquement qu’économiquement. Le temps n’est plus aux questions d’honneur bafoué et de duels à l’épée. Je recherche les alliances utiles en somme.

–Pourquoi eux ?

–Tout d’abord, parce que je me suis découvert quelques affinités avec Ludovic et Adélaïde Prima. Ludovic est un fin bretteur, Adélaïde, une brillante concertiste, et tous deux possèdent une culture impressionnante, et de sérieuses prétentions pour acquérir des parts dans le consortium de l’Union Libre des Marchands. Jusqu’à présent, nous entretenons des rapports cordiaux, mais je suis persuadé que nous nous trouverons très rapidement des intérêts lucratifs communs. J’ai peur que Louis ne m’apprécie pas outre mesure, mais son influence est limitée. Les Prima ne sont pas, à proprement parler, une grande famille, mais je pense qu’ils constitueront un atout décisif dans les temps à venir.

Paul marqua une pause. Il savait que son père s’intéressait principalement aux relations qu’il avait tenté d’établir avec les Thodos.

–Pour ce qui est des Thodos, ce sont les derniers nobles à avoir encore quelques investissements dans la fédération, et un accès à une technologie émergente dont l’exclusivité pourrait nous assurer un retour au premier plan de la scène économique internationale. L’époque des familles ennemies est révolue. Si nous n’évoluons pas, nous disparaîtrons. Je suis persuadé qu’aucun membre ne se souvient exactement la raison des haines qui nous déchirent. Et je pense qu’il est temps de partager autre chose que ma tante avec Edward Thodos.

La famille Thodos était principalement basée à Elone. Cette ville était leur fief depuis des siècles. Malgré la distance quasi continentale qui pouvait séparer ces deux familles d’importance et d’influence égales, Les Roderick et les Thodos se détestait. La seule solution que l’on avait trouvé pour éviter une guerre ouverte dont les conséquences auraient été préjudiciables à la noblesse en premier lieu, à la paix internationale en second, avait été le mariage d’Edward Léopold Thodos à Roselyne Roderick, jeune sœur de Joseph Archibald.

–Malheureusement, j’ai peur que mes tentatives de réconciliations se soient soldées par un échec du fait de l’antagonisme puéril qui uni nos deux familles. Au mieux, ils me prennent pour un hypocrite, au pire, pour un traître à mon sang. Et je pense qu’ils ne traitent avec aucun des deux –s’il y avait eu la possibilité que joue sur une ambiguïté pour atteindre mon but. Peut-être prendront-ils conscience de la gravité de la situation avant qu’il ne soit trop tard.

Paul s’arrêta. Il avait fini complètement ses explications. La transparence ne signifiait pas qu’il n’avait pas tronqué certains détails importants, mais au moins, il avait été parfaitement honnête.

–Je pense maintenant que je vais prendre congé de vous, Père. Ainsi que de nos pairs d’ailleurs. Pour ce qui concernerait des informations supplémentaires, je suis persuadé que vous seriez contrarié de vous apercevoir que vous dépensez tant dans des services de renseignements qui ne vous apportent rien.

–Oui. Nous sommes d’accord. Je vais prévenir la sécurité de...

Sans crier gare, Paul décocha un violent coup de poing dans l’estomac de son père, qui se plia en deux, sous l’effet de la surprise et –il faut l’avouer– de la douleur. C’est qu’il n’y était pas allé de main morte ! Juste avant d’abattre son coude sur l’arrière du crâne de Joseph, il cria :

–Ha, mais gardez-vous en bien, Père ! Vous ne retirerez aucunement les mérites de ma sortie !

Effectivement, Paul n’avait fait que différer la concrétisation de son plan. Il allait enfin pouvoir le mettre à exécution. Intérieurement, il jubilait déjà de l’effet que cela ne manquerait pas de produire. Il prit un otage, au hasard, et se mit à courir en direction d’une verrière. La plus éloignée, il fallait que tout le monde en profite. Henry le suivait de près. Dans le feu de l’action, il ne manqua pas de le souligner :

–Que faîtes-vous Henry ?

–Dois-je rappeler à Monsieur, que les sentinelles supposées le retenir risquent d’être mortifiées par sa disparition inopinée, d’autant qu’elles n’auront été prévenues par Monsieur votre père.

–Et, tel que je vous vois, vous comptez les rassurer.

–La perspicacité de Monsieur me stupéfiera toujours.

–Et si vous ne le faisiez pas ?

Le majordome sourit.

–Voilà qui serait très méchant, Monsieur.

Il adressa à son maître un rapide clin d’œil, s’immobilisa avant de tourner les talons. Il semblait soudainement s’être totalement désintéressé de l’action.

Paul réfléchit rapidement. Et finalement, il préféra la forme au fond. Après avoir relâché son otage, il continua sa course à travers la verrière, la brisa et ri comme un dément à mesure qu’il tombait.

Comme prévu, la sécurité n’avait pas eu le temps de réagir, et la foule resta médusée devant le trou que le jeune Roderick avait percé dans la surface cristalline et qui laissait à présent s’insinuer le vent. Et à la vérité, c’était plutôt pour cela que personne ne lui adressait vraiment la parole…

vendredi 24 avril 2009

Le cycle de Terra : L'Enfant du Rêve (2)

Chapitre un : Convergence


 Première partie : Chasse en forêt


Peu de personnes connaissaient la forêt d’Eliatt. Et ces dernières l’évitaient soigneusement. C’était l’un de ces lieux sur lesquels couraient de terrifiantes rumeurs. Nul ne se souvenait que cela avait pu être un jour l’un des endroits les plus charmants du Laéron. Et nul ne cherchait vraiment à le savoir. Pourtant, il s’y dressaient les manifestations d’une humanisation en quelques habitations monolithiques et isolées, semblables à des manoirs, ayant appartenu à un passé révolu. Les routes commerciales et touristiques avaient été détournées après qu'étaient survenus les premiers incidents mortels, et les rares villages qui en jalonnaient la bordure avaient été abandonnés. Il y avait certaines catégories d’individus qui s’y rendaient encore de temps à autres : les aventuriers particulièrement aguerris, les biologistes passionnés, et les inconscients patentés. Et dans cette minorité hétéroclite, seule une infime frange parvenait à en réchapper pour en parler et alimenter les fantasmes populaires. Généralement, les biologistes.

Jamais le moindre rayon de lumière ne traversait la frondaison qui, bien qu’étonnement haute provoquait un sentiment de confinement des plus oppressants. L’air y était humide, chaud, suffoquant. Faune et flore avaient fait de la disparition systématique des corps étrangers un art à part entière. Le venin du moindre insecte aurait décimé un régiment surentraîné. Au dessus d’un certain gabarit, les animaux n’étaient que crocs et griffes acérés, en dessous, ils étaient capable de libérer des toxines corrosives susceptibles de tuer une grande partie de la biosphère. Les plantes possédaient, elles aussi, tout le système nécessaire pour attirer, piéger, mastiquer, digérer et régurgiter tout animal qui n’aurait pas complètement abandonné la curiosité au profit de l’instinct de survie. L’ensemble s’entretuait joyeusement et perpétuellement. C’était à se demander quand, dans le cours laps de temps que durait une vie en moyenne dans cette forêt, et où trouvait-on la possibilité de se reproduire. Comment diable se faisait-il que, non seulement il y ait de la vie, mais qu’en plus, cette dernière se manifesta dans une sorte de population grouillante et assourdissante en constante augmentation ? Il s’agissait d’ailleurs d’un des principaux sujets d’études d’un éminent naturaliste disparut prématurément. Aventurier, biologiste, inconscient... Ses chances étaient restreintes.

En temps normal, tenter de traverser cette forêt avec un équipement minimal par pur pragmatisme aurait été qualifié de suicidaire. Pourtant, cela représentait un gain de temps substantiel ; virtuellement puisque personne n’avait véritablement tenté l’expérience, ou n’avait pu en ressortir pour témoigner. Mais dans le cas d’Énora, cela lui permettait également de semer un temps ses poursuivants. Au final, elle était doublement ‘‘gagnante’’. Si elle survivait, s’entend.

Cela avait quelque chose de fascinant de la voir évoluer dans ce milieu pourtant particulièrement hostile sans que rien ne sembla la troubler outre mesure. Elle avait pénétré en Eliatt depuis quelques heures seulement, et il semblait que ce n’était pour elle qu’un jardin d’agrément. Un œil inexpérimenté aurait pu lui prêter une outrageuse confiance en soi. Ce en quoi il n’aurait pas eu tout à fait tort. Pourtant, aucun élément dans sa course n’était laissé au hasard. La cadence de sa foulée, les arbres sur lesquels elle s’adossait, les lianes le long desquelles elle se lançait… Elle estimait qu’il lui faudrait encore une petite journée –sauf incident majeure– pour atteindre la bordure opposée. Elle ne se trompait pas. Elle se basait sur son expérience personnelle et son esprit d’analyse. Elle percevait ces petites perturbations dans l’air, les variations dans la densité de la végétation, elle repérait inconsciemment les changement de luminosité ou l’évolution d’apparition de certaines mousses sur son trajet. Rien ne lui faisait obstacle. Rien ne se dressait sur sa route. Même en Eliatt, le prédateur, c’était elle.

 

Énora avait commencé à mettre ses services de mercenaire sur le marché depuis une petite dizaine d’année maintenant. Elle avait commencé jeune, il faut dire. Aux vues de ses performances impressionnantes, de ses tarifs attractifs et de sa morale… Élastique, les demandes avaient afflué, et elle n’avait pas tardé à se faire un nom. On lui avait attribué un pseudonyme : Glace. Les raisons étaient multiples. Et cela lui permettait de revêtir une deuxième personnalité adaptée aux circonstances. Cependant, cette appellation ambiguë continuait de générer un quiproquo à son encontre. Tous ceux qui faisaient appel à ses services pour la première fois s’imaginaient qu’ils allaient se trouver nez à nez avec l’un de ces assassins sans foi ni loi, un homme tout en muscles, portant sur son visage les stigmates de nombreuses batailles, comme autant de trophées, la mâchoire proéminente, et le crâne rasé. Ils s’interrogeaient souvent lorsqu’ils voyaient arriver cette femme d’une trentaine d’année, à la mise impeccable, au visage long et aux traits fins dont l’ovale se dessinait parfaitement. Elle avaient des cheveux noirs, cours, et la peau légèrement plus sombre que la normale, presque grise. Mais le doute n’était plus permis lorsqu’ils croisaient son regard d’un bleu polaire, pétrifiant, un regard presque animal. Sur son front, on pouvait distinguer très nettement une cicatrice, que l’on prenaient parfois pour un tatouage. On pouvait y voir une gueule de loup. Quelques secondes suffisait pour se rendre compte que le moindre de ses mouvements était étudié. Le geste était précis, maîtrisé, son attention enveloppait tout l’espace dans lequel elle se trouvait. Beaucoup ressentaient un sentiment assez troublant en sa présence, assez peu confortable. Le sentiment d’être dans la même cage qu’un animal féroce qui, par intérêt, ou par jeu, tient à vous laisser la vie sauve encore quelques temps. Évidemment, elle le savait, et, évidemment, elle en abusait. Elle aimait cela d’autant plus que ceux qui requéraient ses services n’étaient pas à proprement parler des chérubins.

 

Énora continuait sa progression en Eliatt. Son plus grand atout, c’était sa vitesse. Ce serait encore une fois grâce à cela qu’elle se distinguerait lors de cette traque. En passant par la forêt, elle gagnait facilement deux jours sur les autres chasseurs. Les cibles mouvantes à la localisation incertaine avait toujours été ses préférées. Elle venait de dépasser un manoir que recouvrait à présent une mousse épaisse, mais dont les proportions témoignaient encore de l’investissement colossale que cela avait du être. Elle s’amusait à penser qu’elle y prendrait bien congé de temps en temps. Cela lui aurait au moins assuré d'y être tranquille, et retirée du monde.

 

En tant que mercenaire, Énora n’avait pas beaucoup de principes. Elle n’avait pas de code, et  ne fréquentait définitivement pas le milieu dans lequel elle évoluait. D’ailleurs, Énora ne fréquentait pas grand monde. Elle en était arrivé à un stade où elle pouvait refuser certaines tâches et profiter de retraites en solitaire dans le loft luxueux qu’elle louait en surplomb la cité d’Elone. Son travail se basait avant tout dans une confiance réciproque entre elle et son employeur. Elle rencontrait d’ailleurs systématiquement les commanditaires de ses opérations. C’était l’une des rares conditions ‘sine qua none’ qu’elle imposait encore.

Des inimitiés… Oui, à la réflexion, elle en avait sûrement. Mais il s’agissait plus de farouches rivaux que d’ennemis mortels. La demande était suffisamment importante pour qu’il n’y ait que peu de frictions entre les différents chasseurs. Elle n’en connaissait d’ailleurs qu’une petite portions. « Les meilleurs » se plaisait-elle à penser. Elle n’était de toute manière pas de celle dont on vole une prime ou un contrat. Grâce à sa vitesse. Et à son instinct.

Pour résumer, Énora/Glace avait fini par aimer son travail. Malgré les circonstances qui l’avait amenée à cela. Le don avait précédé la vocation de plusieurs années.

 

Une voix se fit soudain entendre distinctement :

– Tu ne l’as pas senti ? Arrête-toi ! Tout de suite !

Après avoir focalisé tout ses sens en un point précis, Énora réalisa qu’elle avait laissé sa vigilance s’endormir par la routine de sa progression, dans un endroit qui ne lui permettait pourtant aucune erreur d’appréhension. En temps normal, elle se serait contentée de contourner l’obstacle, mais en temps normal et particulièrement dans ce magma de végétation bouillonnant qu’était Eliatt, l’obstacle n’aurait jamais été un homme de deux mètres de haut, à la forte stature, dans le dos duquel pendait une arme qui s’apparentait plus à un battoir qu’à une hache et qui émettait de petites pulsations bleutées discontinues.

Plus que de la méfiance, ce que ressentit la chasseuse à ce moment là fut un sentiment de totale incompréhension. Cet homme n’avait aucune raison d’être là. Elle ne l’avait pas senti. Glace se figea sur place, les muscles bandés pour parer à toute éventualité. L’homme ouvrit les yeux, et porta sur elle un regard emprunt d’affection. On pouvait maintenant remarquer qu’il se tenait sur un tumulus autour duquel régnait une atmosphère de calme. Un simple rayon avait réussi à percer l’épaisse couche de feuillage pour éclairer son large torse nu, dont les tatouages offraient un spectacle d’une grande complexité. Son visage massif sur lequel se dessinait un large sourire était orné d’une barbe blonde. Ses grands yeux violets semblaient s’émerveiller de tous les détails dont ils pouvaient se repaître. L’homme avait dompté son abondante crinière blonde par le moyen de tresses qui soulignaient chaque mouvement de sa tête. Il arborait un pantalon noir aux tissus précieux et parfaitement coupé. Immaculé, était-il besoin de préciser. À la taille était noué une étoffe bleu qui pendait en un pan plus long sur le côté droit. C’était l’un de ces hommes sans âge, une véritable force de la nature dont la simple vision imposait le respect. On aurait pu penser qu’il s’agissait de l’incarnation d’un dieu barbare, venu du fond des âges. Si Glace se déplaçait avec aisance en Eliatt, l’homme y était chez lui, et la nature toute entière lui témoignait de l’amour. Il resta dans cette position de majesté pendant quelques secondes, qui parurent un éternité. Bien qu’il ne témoigna aucune animosité à son encontre Glace avait le souffle coupé. Il n’avait pas prononcé le moindre mot ou esquissé le moindre geste jusqu’à présent.

Et animé par une volonté invisible, il se mit en mouvement. Il déplaçait son imposante masse si rapidement, qu’en l’espace de quelques secondes, il avait purement et simplement disparut. Alors que la chasseuse devait adapter sa course à son environnement, il semblait que la forêt tout entière s’écartait pour offrir un passage à ce dieu oublié. Et la tension qui avait afflué en Énora se dissipa. Elle relâcha toute pression musculaire, happa une bouffée d’air, et posa un genou au sol.

–Et bien ça par exemple. Un moment de faiblesse. Ça ne te ressemble pas.

–Je ne crois pas t’avoir demandé ton avis Bleiz, lança Glace sur un ton particulièrement acerbe.

–Pourtant, il était sacrément imposant  comme bébé…

–C’est ça Bleiz, fait comme si je n’avais rien dit, comme d’habitude.

Énora rassembla ses esprits rapidement, et se remis en route. Ce n’était pas vraiment le bon endroit pour avoir un brin de causette.

– Et il est tout simplement apparu ! Je n’ai pas ressenti sa présence avant de le voir ! Et même alors, ça aurait pu être une projection onirique ! Il n’avait aucune trace significative, aucune... Consistance réelle.

–Pour ce qui est du réel, je ne sais pas, mais sa hache avait l’air particulièrement lourde.

La voix était distante, mais parfaitement audible. Elle était grave, rugueuse, mais pas impersonnelle. On aurait pu penser que la voix se voulait rassurante, si quelques pointes de grognements bestiaux ne perçait pas en certaines occasions.

–De toute façon, Bleiz, je n’ai pas le temps d’y réfléchir pour le moment. Il faut d’abord que nous sortions de la forêt, veux-tu ?

La voix se tut complètement, mais Énora pouvais sentir que Bleiz était toujours tapi dans son crâne, qu’il observait à présent attentivement ses moindres faits et gestes. Lui aussi s’était fait surprendre par le colosse, même s’il ne le reconnaîtrait jamais. Et ça le vexait. Énormément.

–Norig ?

Norig était le diminutif d’Énora et Bleiz devait être la seule ‘personne’ au monde à l’employer.

–Qu’y a-t-il Bleiz ?

Énora continuait de focaliser son attention sur sa course.

–Si l’on rencontre ce type encore une fois, j’aimerai assez que tu me laisses lui dire ma manière de penser.

–Bleiz ?

–Oui ?

–Je te signale qu’avec ce corps, contre lui, toi ou moi, nous nous serions pris la plus sévère dérouillée de notre vie.

–…

–Et maintenant, si tu veux bien me laisser tranquille, il faut que je me concentre.

dimanche 5 avril 2009

Le cycle de Terra : L'Enfant du Rêve


Introduction : Fhèbe, La Cité Étages 

Les puissantes machineries de la Cité Étages s’agitaient dans un vrombissement assourdissant. D’impressionnants systèmes hydrauliques semblaient mettre en mouvement jusqu’aux entrailles de la capitale, tandis que les cristaux alignés en batteries scintillaient faiblement pour soudainement exploser en un éclat éblouissant lorsque s’abattait l’un après l’autres les colossaux pistons. Puis ils restaient au repos avant de scintiller à nouveau. Des éclairs parcouraient parfois l’ensemble de la structure. Ils traversaient en un instant de gigantesques colonnes métalliques, puis disparaissaient, à plusieurs centaines de mètres de leur origine, lorsqu’ils atteignaient la voûte supérieure. Un chemin serpentait au milieu de ces cliquetis répétés et de ces imposantes machines, éclairé seulement par quelques néons bleu dont les éclats se répercutaient sur les parois rigides et froides. 

Deux ombres se frayaient à présent un passage au sein de cette danse mécanique, en direction de la corniche extérieure. Cette dernière n’était guère alors qu’une ligne lumineuse et incertaine dans le lointain.

La première ombre, en tête, s’arrêta un instant pour regarder en arrière, considéra le chemin à parcourir, puis se retourna complètement.  Une fois que la seconde, plus petite, l’eut rejointe, sa voix se fit entendre. Il s’agissait d’une voix d’homme, chaude, douce, assurée, dans laquelle on pouvait toutefois déceler les signes d’un jeunesse impétueuse. Il s’accroupit pour se faire entendre malgré le bruit assourdissant qui les environnait.

« Aria, il faut nous dépêcher. Si nous voulons y être à temps, il va falloir que je te porte. Cela te convient-il ? »

Un trait lumineux jaillit à proximité et éclaira un bref moment les deux silhouettes. Du peu que l’on pu apercevoir, il était difficile de savoir si c’était le délicat visage encadré par une chevelure incandescente aux reflets dorés de la petite fille ou le regard intensément vert et profond du jeune homme dont les iris semblaient capter la luminosité ambiante qui attirait le plus l’attention.

L’enfant hocha la tête dans un signe d’acquiescement, et le jeune homme la pris alors sur son dos, se redressa puis se remit en route. Fort de son mètre quatre-vingt et de sa musculature harmonieuse et déliée, la charge semblait négligeable, et il accéléra, faisant fi du chemin tracé pour en emprunter un qui lui permettrait d’atteindre la corniche le plus rapidement possible. S'il se dépêchait, avant le lever du soleil.

Il parcouru la distance, entre ces câbles d’acier tendus, ces pylônes que sillonnaient des traits d’énergie, et ces rouages incroyables, en un temps relativement dérisoire. Il était soulagé : le soleil ne s’était pas encore levé. Haut dans le ciel brillaient encore quelques étoiles ; l’aube ne tarderait pas à embraser l’horizon. Il souffla un peu, puis remonta la pente douce qui les mènerait à leur destination. Sur les bas-côtés de la route en terre battue, la végétation luxuriante de la Corniche s’insinuait entre les pièces de métal, recouvrait certains édifices en pierre, se jetait en cascade sur le rebord de la cité en quelques endroits où se dressaient jadis de gigantesques vitre de verre. L’apparente tranquillité du quartier, avec ses petits vallonnements, ses habitations basses en pierre de taille, ses chemins sinueux et sa place de marché, tranchait singulièrement avec l’austérité industrielle de la centrale énergétique qu’ils venaient de traverser. De plus, il s’agissait du seul endroit, à plusieurs centaines de kilomètres, où l’on pouvait admirer le lever du soleil et sentir le vent sur son visage.

Arrivés sur une sorte de promontoire qui surplombait les environs, ils s’installèrent. Le spectacle pouvait commencer. Aria ouvrait grands les yeux pour ne pas en perdre une miette.

Il n’eurent pas à attendre cinq minutes, que déjà le ciel prenait des teintes d’un rose pourpre. Les dernières étoiles semblèrent s’éteindre, au firmament, à mesure que les rayons du soleil enveloppaient l’horizon. Le ciel devint bientôt un dégradé d’une infinie beauté, rougeoyant lorsqu’il s’unissait à la terre, doré à son zénith, le reste se déclinant en une multitude de tons d’une splendeur pétrifiante. Les nuages semblaient faire écho aux rayons qui s’y perdaient. Après avoir tenté de leur faire obstacle, les voilà qui s’embrasaient au contact de la lumière.

Bientôt, le ciel s’obscurcit, en prémisse du suprême moment. Une minute se passa, Aria en frémissait d’impatience.

Et c’est alors qu’émergea la boule iridescente, orange et vacillante dans la brume du matin, et dont les rayons portaient à présent un éclairage nouveau sur toute chose. Alors qu’elle n’est que demi disque, tout n’est que silouhette. Lorsqu’elle s’élève, l’immobile s’anime, implacablement, lentement.

La lumière embrassait les formes, allongeait les ombres, réchauffait les cœurs, colorait les âmes. L’astre du jour nimbait d’un halo orangé l’improbable décor qu’offrait la capitale. Les vitres de la ville étages reflétaient, comme autant de miroirs, la magnificence du moment.

Toute la cité s’enflammait en ces instants précis. Elle qui s’élevait plus haut que n’importe quelle montagne, fière de ses huit niveaux et de ces dimensions étatiques. Formidable structure d’acier, de pierre, assemblage hétéroclite, millénaire, en constante évolution. Les huit niveaux de la cité scintillaient d’un même éclat.

Là, sur la Corniche du 4ème niveau, se tenaient Aria, fillette de 8 ans, la peau claire, les cheveux blonds comme un incendie, les yeux bleus, le visage rond et doux, de ceux qui laissent présager une beauté en devenir, et Azur, 23 ans, brun, les cheveux en bataille, le visage fin, le regard incroyablement perçant.

Ils faisaient cela, tous les matins. La première fois avait été le fruit du hasard. C'était devenu une habitude. Il leur suffisait d'assister à cette scène pour ressentir un sentiment de plénitude. Azur, d'être auprès d'Aria, et Aria... Nul ne le savait vraiment. Parfois, l'aube était vert pomme, et se terminait sur une pointe de bleu marine. Parfois, elle était uniformément jaune. Parfois, elle était pâle, mauve, indigo, turquoise, ôcre, fauve... Et c'est la raison pour laquelle ils n'en rataient pas une.

Et Azur regardait Aria heureuse, et cela lui suffisait. À chaque fois, il y avait cette phrase qui lui revenait en mémoire :

« C’est à Fhèbe que tout commence. Toujours. »

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Voilà l'introduction de ce qui, je l'espère, sera une saga. Je n'ai vraiment pas écrit grand chose. Je dirais même que je me suis un peu laissé allé, mais qu'importe ! La suite, très vite (avant la suite du récit de Trevor en tous cas). L'histoire est déjà fini, et même depuis un petit moment, mais de la rédiger me fait un peu peur. Toutes vos critiques sont les bienvenues (et je me doute qu'il y en aura).

Et pour les éventuelles fautes d'orthographes, je m'excuse d'avance. Je ne me suis pas relu, je tâcherai de les corriger petit à petit !

Vous étiez au moins...