vendredi 19 novembre 2010

Z-World 1

Voilà le début d’une histoire assez basique, avec un postulat simple. Mais je ne vais pas vous le déflorer avant que n’ayez commencé à lire. Car je suis contre les quatrièmes de couverture. En effet, si la vie était une quatrième de couverture, combien d’entre nous la refuseraient-ils de la lire ?



La nuit était tombée depuis longtemps sur le chemin de terre, et il était complètement désert à présent. Les ombres de la forêt environnante menaçaient le cavalier solitaire qui avait eu le courage de continuer sa route. La lune avait atteint son zénith et perçait çà et là la frondaison, apportant à la scène un éclairage bleuté. Le visage du voyageur demeurait dans l’ombre d’un capuchon de lin. Malgré la moiteur estivale, l’homme portait des vêtements épais qui le couvraient entièrement. À son flanc pendait un baudrier dont les attaches en argent tintaient légèrement contre le pommeau d’une épée à chaque foulée de l’étalon. Ses mains étaient gantées de cuir ; sa droite tenait fermement les rênes de son pur-sang noir tandis que sa gauche effleurait sans cesse la garde de sa lame. Ses yeux scrutaient l’obscurité avec attention.

Au bout de quelques minutes, le cavalier s’immobilisa. Sa monture semblait en proie à une agitation que, depuis le temps, il connaissait.

Grobak mis pied-à-terre, et se dirigea d’un pas assuré vers la demeure délabrée, vestige d’un autre temps. La troupe qu’il suivait avait dû espérer trouver un endroit sécurisé où passer la nuit. Comme à chaque fois, il se repassa mentalement toutes les règles pour vérifier s’il n’en avait enfreint aucune. À priori, pas jusqu’à maintenant.

On comprenait très rapidement pourquoi cette maison était demeurée inhabitée –jusqu’à aujourd’hui– : de larges fenêtres qui laissaient passer la lumière, dépourvue de fossé de délimitation, un rez-de-chaussée de plain-pied… Passons sur la forêt qui n’avait sans doute pas recouvert tout ce territoire à cette époque, mais c’était en soi un miracle, ou une aberration, que quelqu’un ait permis la construction d’un tel édifice ; sans doute quelque riche excentrique. Et qui que ce fût qui avait tenté d’y trouver refuge, il semblait dénué de toute forme de bon sens.

Grobak s’attendait à ce que ça grouille. Les espaces clos, il détestait ça. À une dizaine de mètres de lui, la porte était encore fermée. Mais la maison était toujours plongée dans l’obscurité. C’était un signe qui trompait rarement. Ça et l’ombre qui passa à une des fenêtres du premier étage.

Il sortit la lame et s’avança, épée au clair. Il activa la poignée de la porte d’entrée qui s'ouvrit sans résistance. « S’il y avait une entrée secondaire, songea-t-il, ils m’auraient attaqué depuis longtemps. »

La porte grinça faiblement et dans son dos, son cheval recula de quelques pas. Il avait vu juste. Les chevaux sentent la mort. Toujours. Le sien était encore jeune, et il devait s’attendre à tout moment à ce qu’il détale, ce qui n’arrangerait pas ses affaires. Il se devait d’agir le plus rapidement possible.

Une fois la porte ouverte, si lui pouvait les sentir, la réciproque était vraie. Et ils n’allaient certainement pas tarder à accourir des étages supérieurs. Grobak remonta sur son visage son écharpe, affirma sa prise sur son arme et se prépara au combat. Tout ce qu’il fallait, c’était mettre la main sur la lettre. Et il saurait reconnaître son porteur lorsqu’il le verrait. « L’avantage, pensa-t-il, c’est que maintenant, je n’aurai plus à le traquer. C’est lui qui viendra à moi ».

Il s’engagea sans hésiter dans le hall d’entrée, et referma derrière lui la porte. Le cheval aurait moins de chance de s’enfuir ainsi. La pièce était plongée dans les ténèbres lorsqu’il entendit le premier grognement, sur sa gauche. Il y en avait donc au rez-de-chaussée. Et ils allaient rameuter les autres. Grobak sourit sous son écharpe. Ils étaient frais du jour, cinq, six au plus, il n’aurait aucun mal à les contenir tous.

Il tendit son bras armé sur la gauche, dans le prolongement de son épaule. Bien que son coup portât, le beuglement de la créature retentit de nouveau. Il avait raté le crâne. Au jugé, il s’était enfoncé dans la cage thoracique de son adversaire ; un sacré morceau. Il retira sa lame pour asséner un deuxième coup, en taille celui-ci, mais beaucoup plus violent, une vingtaine de centimètres plus haut. Le gémissement rauque mourut dans la gorge de l’être dont la tête se détacha du corps.

Le spadassin s’aventura dans la pièce de laquelle avait émergé la première créature. Au moins était-elle baignée par le clair de lune, aussi pourrait-il se fier à sa vue. Simultanément, des bruits de pas rapides se firent entendre dans les escaliers, suivis de cris animaux. Grobak se tint prêt. Et quelques secondes après, ils pénétrèrent dans le halo lumineux. Il y en avait trois. Ils n’avaient déjà plus rien d’humain. Leur visage avait été arraché, mastiqué ; l’œil droit de celui qui lui faisait face pendait, minablement retenu par le nerf optique dans son orbite creuse. Entre les côtes mises à nu du second saillait un poignard enfoncé là avec la force du désespoir. Le troisième se répandait en morceaux de chair putréfiée.

Le premier infecté de la troupe devait se trouver ailleurs. Pour qu'ils se finissent tous de la sorte, l'incubation avait dû non seulement fulgurante, mais surtout invisible. Un cas de survivance spontanée ?

Le messager n’était pas là. Cela contrariait beaucoup Grobak. Et s'il avait réussi à s'enfuir ?

Ses gestes furent beaucoup plus précis cette fois ; il devait faire vite. Le premier mort-vivant eut tout juste le temps de lever un bras que l'épée de Grobak s'enfonçait déjà entre sa mâchoire béante pour ressortir au niveau de l'occiput. Il s'écroulait à peine que l'épéiste se fendît d'un coup qui emporta la moitié supérieure du crâne du deuxième. Le dernier tenta de lui saisir le bras ; il lui brisa le tibia d'un coup sec. Alors que son corps s'affalait Grobak le décapita. Il n'avait pas le temps pour plus de raffinement. Son cheval ne tarderait pas à attirer à lui tous non-morts des environs.

Toujours encapuchonné, il remonta les escaliers. Intuitivement, il monta directement au deuxième étage. Ils avaient été relativement bruyants en bas. Si aucun autre mort-vivant ne les avait rejoints, c'est qu'ils devaient être occupés ailleurs.

Lorsqu’il atteignit le palier du second, il entendit les bruits caractéristiques de mastications. Sa seule pensée fut pour la lettre : « Pourvu qu’elle soit lisible. »

Le dernier étage était pourvu de baies panoramiques qui lui permettaient de voir aussi distinctement qu'à l'extérieur. Il n'en demandait pas tant. Il enfonça avec fracas la porte de la salle d'où provenait l’agitation macabre. Les deux créatures étaient en plein repas. L'odeur aurait été insoutenable pour beaucoup. Il avait juste fini par s'y habituer.

Avant qu'ils ne fassent mine de se relever, Grobak fit jaillir son épée qui emporta le crâne du premier comme si la lame était passée au travers, et continua sa lancée pour trancher la moelle épinière du second en profondeur. Sa tête bascula en avant sans totalement se détacher du tronc, encore retenue par quelques tendons. Les corps s’affaissèrent mollement sur le côté. Par précaution, et bien qu'il sembla incapable de se mouvoir vu l'état dans lequel ses deux anciens acolytes l'avaient laissé, Grobak décapita leur “festin“ avant qu'il ne se réveille.

Grobak jura. Le messager n’était pas là, il avait donc réussi à partir avant que l’épidémie ne frappe le groupe dans son ensemble. Il devait repartir. Maintenant.

Le spadassin fit volte-face. Il avait entendu du bruit. Dedans ou dehors ? Il courut jusqu'aux larges fenêtres. D’autres créatures sortaient de la forêt. Le cheval était toujours là, même s’il semblait lutter contre ses instincts pour ne pas s’enfuir. Brave bête.

Grobak se jeta dans l'escalier. Il avait entendu de l’agitation aux étages inférieurs. C’était un avantage : mus par la faim, les cadavres étaient bruyants. Mais dans ce cas précis, il semblait plus nombreux que ce que Grobak avait d’abord imaginé. Tout autour de lui, dans les chambres, dans les escaliers, sur le palier, il entendait déjà résonner les râles des morts. Beaucoup trop nombreux. Ceux de la troupe qui avaient réussi à s’enfuir n’étaient pas passés par la porte principale. Il existait donc une entrée secondaire. Il s’était précipité, persuadé qu’il n’en était rien.

Jamais il ne pourrait pas s'en sortir en fonçant dans le tas. Mais mourir sans avoir tout donner lui paraissait insupportable. Déjà, un mort lui saisissait le bras. Il tenta de percer le cuir de son gant avec ses dents, mais sa mâchoire se déboîta. Il avait moins d’un an. Trop vieux pour être dangereux, trop jeune pour se régénérer. Grobak lui décocha un puissant coup avec le pommeau de son épée, et sa nuque émit un craquement sec. Il balaya l’espace avec son arme ; trois autres créatures s’affalèrent. Cinq prenaient déjà leur place. Il jeta un rapide coup d’œil autour ; les fenêtres étaient toutes hors de sa portée à cet étage. Réfléchir, vite. Il y en avait déjà trop pour qu’il tente une percée au rez-de-chaussée. Il ne pouvait pas non plus remonter. Ça aurait été une erreur de débutant. « Pas la pire que j'ai fait aujourd’hui, songea-t-il. ».

Il s'engouffra à nouveau dans les escaliers pour remonter au deuxième étage. Il voyait clair, aucune forme de peur ou d’empressement ne troublait son jugement. Ça n’avait jamais été une proie. Il rengaina sa lame et courut. En dessous de lui, les grognements s'accentuèrent, et les pas devinrent plus lourds. Ils courraient maintenant. Il n'avait pas le temps de s’inquiéter. Aussi plongea-t-il sans hésitation à travers la baies vitrée.

Puis tout se déroula au ralenti. Il pivota sur le côté en se roulant légèrement en boule pour atténuer la chute. Il estima exactement la distance qui le séparait du sol : 7m50. Le jardin avait connu un semblant d'aménagement, même si cela avait été des siècles plus tôt. Il ne risquait pas de se réceptionner sur un rocher. Il pourrait sans problème atteindre son cheval avant les morts-vivants.

Tout allait se jouer dans les quelques secondes à venir.

Soudain, la porte d'entrée de la villa s'ouvrit à la volée, libérant un flot impressionnant de cadavres ambulants. Beaucoup plus nombreux que ce qu’il avait envisagé, effectivement. Grobak ne toucherait pas le sol avant deux secondes : une éternité. D'ici là, ils seraient sur lui.

Sans vraiment savoir pourquoi, il s'empara de son épée et porta un coup en direction du sol. La lame se planta dans la terre molle. Fort de cette prise il tira sur son bras pour faire levier et ainsi se propulser un peu plus avant. Il avait gagné presque un mètre et l’accélération qu’il lui fallait. Il effectua une roulade, profita de sa lancée pour se redresser et courir vers son cheval. Entouré de corps en putréfaction, il ruait dans tous les sens. Il s’arrêta et commença à galoper en direction du chemin de terre. Grobak ne pouvait pas le laisser s’enfuir. Il bifurqua pour couper la trajectoire de son cheval.

Il était à quelques mètres du pur-sang. Il tendit une main pour le saisir par les mors ; tenter le calmer sans l’arrêter totalement.

Soudain, il chuta. Son pied venait de se coincer dans tronc –humain, et visiblement affamé– recouvert de terre et de feuilles. Voilà qui était inattendu. « Pas maintenant, pensa-t-il. Pas maintenant ! »

Sa main se referma par réflexe sur la bride de l’étalon qui continua à galoper. Il ne cherchait plus à l’arrêter. Il assura encore sa prise, et s’enroula dans son manteau. Il devait éviter les blessures.

Il devait continuer à chercher le messager. Il n’avait pas conscience de l’importance de l’information qu’il détenait. Peut-être pourrait-on enfin s’affranchir de la peur millénaire.

Grobak, toujours accroché à son cheval, disparut dans la légère brume nocturne.



Qu’aurait été le monde s’il n’avait jamais existé. Morts-vivants, revenants, hommes creux, non-morts… Nous leur avons donné tant de noms. Et pourtant, nous ignorons toujours d’où ils viennent, ce qu’ils sont, quelle est leur finalité.

Les écrits témoignent qu’ils ont toujours existé. Depuis la nuit des temps, nous devons partager notre terre avec ces créatures qui prennent sans émotion le visage des êtres qui nous sont chers pour mieux nous dévorer. Est-ce le legs macabre de nos lointain ancêtres ? D’une civilisation qui aurait vu naître les germes de sa propre destruction ?

Les théories les plus récentes veulent qu’ils soient tout simplement porteurs d’une infection. Mais quel type de maladie est capable de simuler la mort pour mieux nous tromper ? Quelle aberration veut que des blessures qui nous atteindraient mortellement ne leur causent aucune douleur ?

Nous avons mis plusieurs millénaires avant de prospérer malgré leur présence ; à constituer des cités éparses, des semblants de communautés. Grâce à notre capacité d’adaptation, nous avons pendant quelque temps limité la menace qu’ils constituaient.

Mais l’homme est un loup pour l’homme. Un jour, une communauté émerge, puis une autre. Quelqu’un tente d’y asseoir son pouvoir, sa domination. Et c’est ainsi que les guerres éclatent. Nous ne sommes pourtant pas suffisamment nombreux pour nous permettre de grandir leurs rangs.

Parfois, ils semblent avoir totalement disparus. Et lorsque nous nous y attendons le moins, ils reviennent, plus forts. Le temps joue en leur faveur. Nous pensions qu’ils étaient tous lents, malhabiles, que leur seule force résidait dans la masse. Mais eux aussi ont commencé à évoluer. Leur peau flétrie a commencé à se régénérer. Certains sont devenus plus rapides, plus vicieux… Plus silencieux également. Et leur nombre croît chaque jour.

Mais tout n’est pas encore perdu. L’humanité est pleine de ressources, et s’accroche au moindre ridicule fragment d’espoir qu’on veut bien lui céder. Il est là, quelque part, cet Espoir. Et maintenant, nous savons de qui il s'agit.

J’ai dépêché un homme sûr pour nous ramener cet Espoir. Dorénavant, j’attends.

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