vendredi 14 mai 2010

Ma Las Vegas Parano (mais comme on n'a pas les moyens, on se limitera au Sud de la France)

Au départ, rien ne préparait notre pauvre petit héros malgré lui –que pour des raisons de narrations, nous nommerons ultérieurement "petit homme"– à entrevoir ce qu'il allait vivre dans ce qui s'apparentait le plus aux 24 prochaines heures de son existence.

Le héros, on le connaît bien. Et soyons honnêtes, il pourrait affronter des dragons, des armées de revenants ou une horde de fans de Dimmu Borgir à mains nues, entravé par des chaînes de plusieurs tonnes, avec comme contrainte de tenir le monde en équilibre sur l'extrémité de son petit orteil gauche, qu'il en rirait encore, mais par contre, face à quelques microgrammes d'une toute petite molécule chimique, il en mène pas large !

Mais commençons par le commencement. Lorsque l'histoire est sur le point de débuter, notre héros se voit proposer de venir passer un week-end particulièrement exaltant quelque part en dehors de sa chère capitale qui commence quelque peu à l'opprimer. Exaltant, car il sait qu'il aura l'occasion de voyager au travers une nouvelle expérience psychédélique ; milieu riche en réponse pour qui sait poser les bonnes questions. Et, à ce moment précis, le petit homme a besoin de réponses.

L'expérience, il l'a déjà faite. À plusieurs reprises. Le processus est plus ou moins toujours le même. À chaque fois, on essaye de bien chiader l'affaire. Certaines personnes sont persuadées que les "junkies" sont des abrutis irresponsables incapables d'assumer les conséquences de leurs actes, et qui vendraient père et mère pour se fournir leur cam'. Sans doute est-ce le cas pour certains. Mais l'on ne m'ôtera pas de l'idée qu'il s'agit le plus souvent d'un archétype hollywoodien du "drogué" qui tend à relayer une image négative dans certains (excellents) films comme Taxi Driver ou More. Le petit homme n'est jamais aussi consciencieux que lorsqu'il se prépare à partir faire une balade mentale.

C’est toujours la même chose. Il commence par préparer un goûter –parce que les expériences gustatives, c'est important. Ensuite, il faut vérifier qu'il a bien acheté ses deux litres d'eau par personnes ; c'est un minimum pour éviter la "gueule de bois" le lendemain. Enfin, et selon la durée du voyage, il prévoit parfois un dîner, histoire de se remplir la panse et revenir sagement à la réalité. L'indispensable, c'est bien évidemment la petite playlist pour favoriser le passage, voire se faire des petits labyrinthes mentaux.

Il y a une règle à laquelle toute entité qui désire prendre une quelconque substance avec le petit homme doit se soumettre. LA règle : il faut promettre alors de couper toute interface avec le monde réel. C'est une règle élémentaire, une règle de survie.

Ce samedi après-midi, il y avait trois individus –deux entités frères et une entité soeur– ; tout autant à enfreindre la règle, prêts à affronter d'éventuels démons. Sauf que cela, aucun des deux autres ne le savaient, bien évidemment ; et c'est là que commence le problème.

Une fois que tout est prêt, il y a le rituel. On prend le petit biscuit de deux gouttes, et on le met dans la bouche, avec l'impression d'être Alice se jetant dans le terrier du lapin. Les effets ne mettent pas longtemps à se faire sentir, et très rapidement, le petit homme mène son petit bonhomme de chemin d'expérience, et tout se passe, ma foi, pour le mieux. Les autres entités interagissent peu avec lui, mais c'est toujours très amusant. Il est rare que leurs échanges durent plus d'une ou deux phrases, souvent sibyllines pour quelqu'un d'extérieur, mais contenant la quintessence d'une puissante réflexion pour d'autres « voyageur ». Chacun est dans son monde et ces mondes rentrent assez peu souvent en contact.

Après quelque temps ("mais combien déjà ?") survient le tilt. On a perdu quelqu'un dans l'affaire ; à priori, l'autre entité mâle : Frère. Vaguement inquiet, le petit homme décide d'en parler à Soeur. Lorsqu'il la trouve, cette dernière est en train de tourner en boucle au téléphone avec une tierce personne. Cette tierce personne semble ardemment désirer s'entretenir avec notre héros. Pour faire clair, RIEN n'aurait pu être pire à ce moment précis. Rien ? malheureusement, ils allaient apprendre que si.

La tierce personne, une étrange Voix au téléphone, est inquiète. Pourquoi ? Honnêtement, aucune idée. Certainement pour la même raison que la pierre est en train d'expliquer au petit homme pourquoi il suffirait de créer une cosmogonie entièrement minérale, purgée de toute humanité et de toute organisme vivant, ou que chaque note qu'il peut jouer au piano se transforme en une corde qui fait de lui un pantin actionné par une sorte de génie grimaçant. La Voix ne semble pas savoir qu'il suffit de prétendre être un caillou visiblement. Elle pose des questions beaucoup trop terre-à-terre pour que le petit homme les relève. Il préfère discuter avec le sol en marbre ; il reste, comme d'habitude, très à l'écart de tout ça. Son ego est très, très loin, protégé, certainement, quelque part.

Le problème, c'est que Frère est toujours absent, et que peu importe le nombre fois qu'il raccroche le téléphone, Soeur s'acharne à appeler la Voix, qui pose sempiternellement les mêmes questions. Persuadé qu'il s'agit d'un enregistrement placé là pour le détourner de sa mission –qui consiste à sauver le monde en mangeant du gâteau au chocolat–, le petit homme, très en colère, finit par raccrocher une fois de plus. Une fois de trop.

Une fois de trop, oui, car la Voix semble prendre la situation très au sérieux. Et ce n'est que lorsque le petit homme réalise que la porte d'entrée n'est plus fermée, et qu'il y a des gyrophares à l'extérieur, qu'il commence a avoir peur. Ou pas. Après tout, il est sans doute en train de rire assis à la table de la cuisine, à manger un bout du gâteau au chocolat qu'ils ont préparé avec amour (et qui doit lui permettre de sauver le monde, n'oublions pas !). Il ne peut pas sérieusement se trouver dans cette entrée exiguë à parler à des agents de la maréchaussée de la prise de psychotropes de deux personnes sur les deux présentes à l'appart ("ai-je dis deux ?(merde, où est passé le troisième ?(ha oui, c'est vrai, rien de tout cela n'est vrai, je suis dans ma tête ! (suis-je con)))"). Ce serait parfaitement grotesque, et complètement stupide.

Mais essayons d'avoir un rapide coup d'oeil sur l'ensemble : vu de l'extérieur, ça donne ça :

La police est dépêchée au 8 avenue quelque chose dans une quelconque ville du sud de la France, et, avouons-le, tout le monde s'en fout que deux personnes aient pu prendre une quelconque dose de quoi que ce soit (qui n'engage pas le processus vital, ni même mental, dans l'affaire, ne soyons pas débiles non plus !). Sauf qu'ils ont un job, qu'ils font, de manière respectable, et lorsqu'ils entendent certains mots, cela provoquent chez eux certains réflexes (sommaires, pour ne pas dire butés et conditionnés uniquement dans le but de prouver que les forces de l'ordre peuvent être très bêtes, n'ayons pas peur des mots).

Très rapidement, dans la tête du petit homme se forment les gros titres tels qu'on aurait pu les lire dans n'importe quel tabloïd racoleur : "un couple d'étudiant consomme DE LA DROGUE ! La compagne est envoyée au service des urgences psychiatriques pendant que la police pense avoir ferré le plus gros dealer de la ville et de ses environs ! Plus de précisions en page 3, juste après le bébé qui mange le chien de sa mère "ex-star vaguement connue qu'en fait on est pas vraiment sûr que c'est elle, mais bon, avec la lumière, on pouvait pas trop savoir", et avant la vérité sur OBAMA et la conspiration reptilienne."

la situation telle qu'elle sera décrite dans le rapport du sergent "je-fais-un-excès-de-zèle" : nous sommes rentrés d'office et sans mandat dans un domicile après avoir reçu un coup de fil d'une tierce personne (autant dire : la Voix) et nous avons appréhendé un "couple" (terme à définir ultérieurement) en "possession" de stupéfiants, et manifestants des signes de prise au cours des dernières heure. nous avons appelé les urgences. Les pompiers semblaient coutumiers de la situation, et ont décidé d'emmener la "victime" de sexe féminin en surveillance. Pendant ce temps, nous avons interrogé la "victime" (avec une gros point d'interrogation que souligne admirablement le sourcil froncé du sergent "peu-importe-son-nom" au moment où il considère le petit homme) de sexe masculin. Nous avons décidé de le cuisiner (comme des salauds) avant de décider de l'amener pour la forme, au poste.

La situation dans la tête du petit homme : rhaaaa, putain, c'est pas possible, on aurait voulu me faire le coup du mec qui se fait prendre là où il fallait pas, je vous jure, j'aurais choisi la même gueule du pompier sympa tout droit sorti d'un calendrier pour le nouvel an !

À ce stade-là, le petit homme est encore plus persuadé que tout n'est qu'une farce mentale. Et RIEN ne semble lui prouver le contraire. Les flics sont de mauvais acteurs, qui sortent leurs répliques dans n'importe quel ordre. Il y a le méchant flic et la gentille fliquette, tous deux affublés de têtes caricaturales au possible. D'ailleurs, le petit homme est sûr à 200%, et il miserait sa mère sur l'affaire s'il le fallait, qu'il a déjà vu ces têtes sur la couverture d'une quelconque bande dessinée narrant les désopilantes histoires de deux policiers. Lorsqu'ils arrivent, les pompiers ont VRAIMENT l'air d'être sympa, prévenants, professionnels, tout comme il faut. Ils posent les bonnes questions, ont les bons gestes, assurés, rassurants. Ils sont à l'opposé des agents des forces de police. C'en est tellement cliché, que le petit homme se retient de faire le moindre commentaire quant à la réalité de la chose, et attend bien sagement de savoir quelle espèce d'énormité son cerveau va encore être capable de générer. En fait, s'il n'ouvrait pas sa gueule pour montrer au méchant sergent son ignorance en matière de substances psychoactives, les deux agents présents sur place le laisseraient certainement partir comme s'il n'avait jamais été là, bien qu'ils semblent tous deux persuadés avoir mis la main sur un gros dealer tout droit descendu de Paris pour semer la merde dans le Sud –qui n'a pas vraiment besoin de lui pourtant.

Mais bon, comme tout ceci n'est qu'une farce, allons-y pour la voiture, avec les gyrophares, et tout le reste. C'est joli les couleurs après tout.

Pour précision, nous dirons à notre lectorat que le voyage a commencé aux environs 15h, et qu'il est un peu plus de 17h au moment ou le petit homme quitte l'appartement pour suivre nos Dupont et Dupond improvisés. Seulement.

Arrivé aux urgences, où on l'a amené pour veiller sur Soeur Le petit homme se dit que son trip pourrait être plus original tout de même. La petite interne ressemble à une amie, et le médecin à la gueule d'un second rôle de Jeunet. Ou de Tarantino... Enfin, quelque part au moment où il croise Capra. Et lorsqu'il décide que les policiers, c'est très amusant, mais qu'il aimerait bien voir ailleurs, ces derniers décident soudainement que la farce a assez duré, et lui restituent ses papiers, le sermonnent, vaguement, en lui faisant promettre de ne plus recommencer, puis s'en vont, sans autre forme de procès.

Alors le petit homme s'en va explorer les rues fantasmées d'une ville qu'il n'a jamais vu !

Et il n'est pas déçu du détour ! Tout y est tellement pleins de couleurs, de résonances, de sensations, de fêtes fiévreuses et fastueuses, qu'il est conforté dans l'idée d'être toujours allongé quelque part dans un appartement, situé dans une vraie ville, pas ce simulacre en carton qu'il reconstitue en fonction de ces souvenirs diffus. Et franchement, vous auriez vécu ce qu'a vécu le petit homme, comment auriez-vous pris la chose ? Lorsque, comme le petit homme, on devient un milliard de choses, l'esprit qui lie chaque être présent à un moment donné, que l'on devient, même une sensation, la sensation du goût par exemple, ou même, plus que cela, un concept, RIEN ne vous facilite le retour à la réalité.

Et puis soudain, le petit homme se rappelle qu'il a allumé son interface avec le monde réel. ou plutôt, cette interface le lui rappelle-t-elle lorsqu'elle vibre dans sa poche. À ce moment exactement, le *ting ting* d'un tram le frôle. S'il n'y avait pas eu cette vibration, ce simple message, ce "mais qu'est-ce qu'il se passe", le petit homme aurait continué sa route. Et il n'aurait sûrement pas remis les pieds sur terre, l'instant où il le fallait, pour comprendre que tous les éléments autour n'étaient pas dépendants de son bon vouloir. Au contraire certains étaient clairement hostiles, et se plaisaient à le lui rappeler à grand renfort de sons et de bruits dissonants qui allaient mal avec le décor. Il n'aurait pas réalisé qu'il était EFFECTIVEMENT dans les rues d'une quelconque ville du Sud, à 19h30, ce qui tendait à confirmer qu'une autre personne présente au début du voyage était à présent aux urgences, et qu'il se retrouvait tout simplement paumé, sans point de repère, après avoir erré dans les rues d’une zone inconnue pendant 1h. Seulement ! Et franchement, si l'on montre ce que le petit homme a vu dans une agence touristique à n'importe qui, ce dernier signe pour y partir directement. Et verse un supplément. Cash !

Après bien des efforts, des détours, des explications attentives de la part de l’entité parisienne, le petit homme retrouve le chemin de l’hôpital. Le retour aux urgences se fait calmement, les personnes semblent compréhensives, et on arrive, petit à petit, même si c'est dur (parce qu'il y a toujours des trucs dans le champ de vision, et que ce médecin a DÉCIDEMENT la gueule d'un second couteau dans "on ne sait plus trop quoi"), à raisonner Soeur pour qu'elle tente de se ressaisir et revenir à la réalité. Les médecins laissent même repartir le petit homme et Soeur. Ils peuvent entamer le processus de reconstruction de l'être à travers les rues de la ville, qui ne sera plus tout à fait les mêmes, mais plus tout à fait inconnue non plus.

Ils sont persuadés que la police a déjà mis des scellé sur la porte, que rien ne sera plus comme avant. Pourtant, il n'en est rien. Ils franchissent, presque interdits, le seuil de la porte, encore hallucinés que l'ensemble de l'histoire n'ait pas de conséquences plus néfastes que cela.

La grande question qui planait sur Frère est levée dès lors que le petit homme et Soeur franchissent le seuil de la porte ; accueillis qu'ils ont été par une odeur de nourriture exotique. Un impérieux désir de consommation imminente avait poussé le troisième cuistre en dehors des murs de ce bastion insurmontables.

Lorsqu'ils pénétrent dans le salon, Frère, qui sort alors de la cuisine, les accueille, fort surpris de constater qu'ils n'étaient pas sagement dans leur chambre à finir le grand voyage.

Ironique n'est-il pas ?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

En France la police n'a pas besoin de mandat pour pénétrer chez quelqu'un. À Las Vegas oui.

Potemkin a dit…

La perquisition fait l'objet de l'inviolabilité du domicile selon le Code de Procedure Penale, sauf cas d'enquête de flagrance ou enquête préliminaire et dépêche du juge d'instruction. Pour l'enquête de flagrance, je te renvoie ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Enquête_de_flagrance

pour résumer, ils n'ont aucun droit à pénétrer dans un appartement s'ils n'y ont pas été invité, encore moins à perquisitionner.

Vous étiez au moins...