samedi 13 mars 2010

Rencontre

Il paraît que je suis mondain. Cette appellation me colle à la peau depuis que je suis arrivé à Paris. Ce qui m'étonne énormément d'ailleurs, encore aujourd'hui. Petit, j'étais l'exemple du type introverti, sympa, mais dans son monde. Un peu caractériel, même, sur les bords. Je n'étais pas ce que l'on peut appeler le type le plus populaire de ma classe ; pas vraiment de ceux qui sortent jusqu'à pas d'heure non plus. Je me souviens que, lorsqu'au lycée mes parents me proposaient la permission de minuit, je leur répondais : "pourquoi faire ? Je ne sors pas..."
Les choses ont changé à présent, mais je ne comprends pas comment. Je n'ai pas vraiment l'impression de m'être métamorphosé. Et pourtant, indubitablement, je sors plus. Certains diront même que je sors trop. Pourtant, je suis toujours casanier. J'aime à recevoir dans mon antre, ou à passer des soirées en solitaire, à lire un bouquin, à faire de la musique, à glandouiller sur mon ordinateur, à écrire, regarder quelques séries ou encore partager mes états d'âmes particulièrement passionnants sur quelque réseau sociaux.

––

C'était une journée tranquille. Un peu étrange peut-être. Il était dans un état second. Il y avait eu une déchirure. Ténue, mais présente. Il y avait eu cet au revoir, inéluctable, terrible, triste à en mourir. Deux ans avait passé à présent, depuis qu'elle était repartie dans sa ville natale. Deux ans à n'avoir d'elle que des nouvelles diffuses. Il pensait s'en accommoder parfaitement ; il comprenait à présent que ce n'était pas le cas.
Il y avait eu cette rencontre, belle, un peu folle, tactile, sensuelle même, mais sans équivoque. Une belle amitié en somme.
Et puis il y eut cet écart un soir, sous les effets de l'alcool, sans réel contrôle.
Elle lui était interdite. Être l'amant ne l'avait jamais dérangé, mais c'était elle. Il ne pouvait pas lui faire cela. Et pourtant, il en avait autant envie qu'elle. Il avait réussi à se ressaisir, à lui dire non. Elle lui en avait voulu, bien sûr, mais le temps aidant, l'avait remercié. Ils étaient fair-play l'un envers l'autre. C'était le là ciment de leur relation.
Un jour, pourtant, elle était partie. Sans vraiment prévenir, sans vraiment qu'il s'avoue que cela le dérangeait, le rongeait même. C'était à peine s'ils étaient restés en contact. Lorsqu'ils s'écrivaient, leurs lettres étaient toujours passionnels, brèves. Comme pour se rassurer, s'assurer que quelque part, quelqu'un pensait à eux. Ils avaient réussi à conserver cette part de réciprocité fragile, enfouie sous le poids de la distance.
Mais le temps passant, les échanges se firent de plus en plus rares. Peut-être s'étaient-il oubliés.
Et voilà que, deux ans plus tard, elle lui annonçait qu'elle montait sur Paris, et que cela lui aurait fait plaisir qu'ils se voient. Sans qu'il s'en rende compte, son rythme cardiaque s'était légèrement accéléré.
À peine s'étaient-ils revus que tout a recommencé. Tout lui paraissait simple, fluide, drôle. Ils se retrouvaient, enfin. Une redécouverte de l'autre, avec des éclats de rire, des confessions, une connivence que ni le temps ni la distance n'avait réussi à entamer. L'après-midi s'est transformé en soirée, puis en nuit, et puis il s'est promis de la raccompagner à la gare. Elle le voulait aussi. C'était rassurant.
Pourtant, il y avait un changement. Lourd. Elle avait rencontré quelqu'un, sa vie était merveilleuse, et elle rayonnait. Quelqu'un qui comptait vraiment pour elle, c'était une première.
Plus tard, dans la nuit, allongés sur le lit de leur hôte improvisé, sa tête posée contre son épaule, à écouter l'arythmie frénétique de son coeur malade que les effluves éthyliques rendaient plus anarchiques encore au travers des épaisseurs successives de ses vêtements en 100 % coton lavable à 60º, il lui avait simplement demandé :
"Entre nous, il y a deux ans, si j'avais osé te dire que tu comptais pour moi, tu serais partie ?"
À quoi elle avait simplement répondu de ces traits acérés, mélancolique et douce, mais effroyablement distante :
"Non... Non, certainement pas non."
Il aurait évidemment préféré ne pas entendre cette réponse ce soir là. Ne pas savoir. L'ignorance n'est-elle pas plus confortable que la vérité lorsque celle-ci vous conforte dans l'idée que votre vie aurait pu être tout à fait différente ? Déjà, il s'en voulait. Déjà, il se relevait, déjà, il fuyait. La culpabilité sourde et les regrets tacites avaient été le juste prix à payer pour le punir d'une témérité oisive. Il rentrait chez lui, seul, légèrement plus lourd que lorsqu'il était parti.
Un peu crânement, un peu connement, il lui avait dit qu'elle aurait pu soigner son cynisme. Elle avait souri. Monde de merde.
Il l'avait raccompagné à la gare. Elle avait l'air aussi paumée que lui. Mais elle repartait vers quelque chose qui lui correspondait. Elle avait trouvé un semblant de bonheur, pour un temps au moins. Et pour une fois, pour la première fois peut-être, il était jaloux.

Alors il était sorti. Le soir, accompagné d'une môme hallucinante, tous deux habillés de noir, bien déterminés à se changer les idées. Quel autre perspective avait-il ? Certainement pas celle de se morfondre dans son coin ; pas lorsque la Môme était là. Et ce n'était de toute façon plus son genre. Veste noire, pantalon noir, gilet croisé sur une chemise anthracite, cravate à rayure noire et violette, bagues en argent assorties au pommeau de la canne qu'il avait décidé d'apporter avec lui tandis que son acolyte avait revêtu un pantalon en cuir à faire se damner un Hell's Angel, un pull tombant sur un décolleté impressionnant que son haut semblait s'acharner à lui conférer, une moue mutine le cheveux plus sombre que l'ébène ; soyons honnêtes : ils avaient un certain style. Et ils se complétaient bien. Tout du moins, c'est ce que la Môme n'arrêtait pas de lui assurer, même si "confiance en soi" n'était pas vraiment l'expression qui le caractérisait le plus.

Terrain connu, visage familier ; rencontres, compliments, échanges rapides sur tout et n'importe quoi, séduction sommaire de tout ce qui passe à sa portée, homme comme femme : le type de soirée parfaite pour se remonter le moral.
Et puis, au milieu de toute cette effervescence fiévreuse, de cette cacophonie brutale, au sein de cette arène sociale, de ce combat d'influences, fait d'alliances et de dominations tacites, survient ce petit temps d'arrêt ; celui où les gestes se figent, où les choses semblent arriver au ralenti, comme dans les films, avec un petit effet de brume qui sature les contrastes ; le petit effet kitschouille bien dégueulasse qui donne envie de vomir. Il le croisa sans le vouloir. Un regard incroyable. Il la connaissait, elle, non. il passait devant pour tenter maladroitement de créer un semblant de réaction. Elle n'en manifesta aucune. Il était interloqué. Le regard aurait-il était trompeur ?
Il fit le tour du bar. Pour commander initialement. Et puis il la vit, à nouveau. Elle semblait perdue. Elle avait quelque chose d'indéfinissable, une lueur d'intelligence mâtinée d'effronterie, et semblait, en même temps, posséder quelque chose très fragile. De quoi faire fondre immédiatement jusqu'à la dernière de ses défenses. Comme si elle avait eu besoin de cela.
La serveuse lui avait fait signe par trois fois, sans qu'il s'en soucia le moins du monde. Peu lui importait. Il n'arrivait pas à détacher d'elle son regard. Pas plus lorsqu'elle lança, à plusieurs reprise, un coup d'oeil furtif dans sa direction. Elle semblait apeurée. À sa décharge, il la fixait, et il avait lui même cette impression : celle d'être un prédateur devant une proie offerte. Sensation relativement nouvelle, et terriblement exaltante. Elle prit son verre qui n'aurait jamais du arriver, régla, puis retourna se noyer dans la masse. Il l'avait perdu. Il avait finalement daigné faire un signe à la serveuse qui avait eu l'indécence de le retirer à sa rêverie.
Je suis toujours persuadé qu'il existe un dieu d'une infini clémence qui vous donne un petit coup de pouce lorsque cela est nécessaire. Il se manifesta ce soir pour notre protagoniste sous les traits d'un ami commun.
Une fois qu'il eut pu engager un semblant de conversation avec la belle demoiselle, une journée de frustration sembla s'évacuer par le truchement de ses cordes vocales qui, une fois n'est pas coutume, eurent la bonté de manifester leur présence et leur utilité en dispensant une logorrhée inspirée dont les mots, mis bout-à-bout, avait la surprenante particularité de bien vouloir créer des phrases cohérentes, bien que parfois relativement emportées. Par superbe, par incroyable même, serais-je tenté de dire, la fille au regard félin avait ri. il avait ri de concert sans trop savoir pourquoi.
Ils étaient allés dîner dans un Grec ou un Turque, ou peu leur importait finalement l'origine douteuse de la viande grasse que leur estomac avait tenté d'assimiler ce soir là. Elle était repartie. Ils devaient se revoir deux jours plus tard. Pour manger des glaces, quelque chose dans le genre. Improbable. Et il ne voulait toujours pas croire que l'accroche avait été réciproque. En avait-il ne serait-ce que le droit ?

Il était rentré cette nuit, seul, à nouveau. Mais contrairement à la veille, Il était plus tranquille. Presque serein. rasséréné en tous cas. Elle avait réussi à éloigner complètement ses questions du jour. Finalement, la seule chose qui lui importait à présent, c'était : comment allait-il s'arranger pour que cette jolie jeune femme accepte de venir boire un verre avec lui ?

1 commentaires:

Elunatik a dit…

Ce qui me perturbe dans tes textes, c'est, d'une part que je m'y retrouve beaucoup trop et d'autre part, je ne parviens pas à savoir si tu parles de toi ou s'il s'agit d'une fiction...

Vous étiez au moins...